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Le principe de l’impunité disciplinaire du salarié en raison des faits relevant de sa
vie personnelle

Il est, de jurisprudence constante depuis près de 30 ans que les agissements du salarié dans le cadre de sa vie personnelle ne peuvent constituer une cause de licenciement (Cass. soc.,
14 mai 1997, n°94-45.473).

Un tel principe se justifie par les limites conférées aux pouvoirs et prérogatives de l’employeur (en particulier le pouvoir de direction et, par corollaire, le pouvoir disciplinaire).
En effet compte tenu de l’atteinte à la liberté du salarié qu’ils impliquent, il ne peut les exercer hors de sa sphère d’influence et d’exercice.

Il convient toutefois de souligner que tout licenciement prononcé en raison de faits tirés de la vie personnelle du salarié n’est pas nécessairement nul ; seul le sera celui fondé sur des faits afférents à la vie privée de celui-ci, notion voisine mais plus restrictive que celle de vie personnelle.

La Cour de cassation a également précisé que les faits liés à la vie personnelle du salarié ne peuvent aucunement – à supposer qu’ils puissent entraîner un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise que celle-ci serait légitime à vouloir faire cesser – constituer une faute et justifier un licenciement disciplinaire (Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n°05-
40.803).

Ainsi, la conséquence d’un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise, provoqué par les agissements du salarié dans le cadre de sa vie personnelle, peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais non une faute – bien qu’il existe quelques décisions dans lesquelles les circonstances ont conduit à qualifier de tels faits de fautifs, notamment lorsqu’ils peuvent également se rattacher à la vie professionnelle (comme le cas d’un salarié, cuisinier d’un hôtel, ayant commis des violences lors de son mariage organisé au sein de l’hôtel – Cass. soc., 16 mars 2004, n° 01-45.062).


L’exception : lorsque les faits relevant de la vie personnelle constituent un
manquement contractuel


La jurisprudence est venue réserver l’hypothèse spécifique dans laquelle les actes commis dans le cadre de la vie personnelle du salarié constituent un manquement de celui-ci à une obligation découlant de son contrat de travail.

Une telle situation est, néanmoins, par nature rare en raison de la portée limitée des obligations contractuelles professionnelles au sein de la vie personnelle d’un salarié.

A titre d’illustration, il a été considéré que la faute grave était avérée dans le cas d’un steward ayant consommé des drogues dures pendant des escales entre deux vols, et se trouvant encore sous l’influence de ces substances pendant l’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 27 mars 2012, n°10-19.915). La solution aurait certainement été différente si le salarié n’était pas demeuré sous l’influence de ces substances lors de sa prise de fonction, ces agissements ne constituant alors pas une violation des obligations prévues par son contrat de travail.

Ainsi, la question sous-jacente à ce type de situation renvoie aux possibilités dont dispose l’employeur d’encadrer contractuellement le déroulement de la vie personnelle de son salarié en faisant perdurer l’application d’obligations contractuelles dans la sphère non-professionnelle.

L’illustration du sportif professionnel : des obligations contractuelles dépassant le
seul cadre professionnel

La décision rendue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 25 avril 2025 fournit une illustration parfaite d’une situation dans laquelle un agissement relevant de la sphère personnelle en l’occurrence la participation d’un joueur de football professionnel au jeu télévisé Fort Boyard constitue un manquement aux obligations professionnelles de ce joueur, en particulier à son obligation de loyauté (CA Aix-en-Provence, 25 avril 2025, n°22/01705).

Naturellement, les circonstances spécifiques de l’affaire sont particulièrement édifiantes : le joueur en question s’était blessé au talon lors d’un match, deux jours avant sa participation à l’émission il devait suivre des soins particuliers et a sciemment dissimulé sa participation à ladite émission à l’encadrement du club.

Une telle participation violait un certain nombre d’obligations du joueur :

  • soigner sa condition physique pour obtenir le meilleur rendement possible,
  • respecter les instructions de l’encadrement notamment technique et médical du club,
  • ne pas pratiquer certaines activités à risques, comme tout exercice acrobatique tel que le saut dans le vide sans l’autorisation écrite et préalable du club,
  • se conformer aux recommandations du club pour tout examen médical.

Ces obligations contractuelles spécifiques font écho aux règles générales du règlement intérieur du club notamment concernant les soins et les interventions/sollicitations média ainsi qu’à celles de la Charte du football professionnel.

Il est évident qu’en se livrant aux épreuves de combat au corps à corps dans une cellule remplie de boue et à un saut dans les airs à 80km/h du sommet du fort attaché par les pieds à deux élastiques, le joueur n’a pas respecté ses obligations professionnelles précitées ni son obligation de loyauté.

La spécificité de l’activité du joueur de football professionnel justifie que les obligations en cause soient considérées comme applicables en dehors de son activité sportive professionnelle en ce qu’elles sont légitimes, nécessaires et proportionnées au but recherché, garantir son meilleur niveau professionnel dans l’intérêt du club, son employeur.

Dans cette affaire, la participation dissimulée et en violation du protocole de soins à Fort Boyard n’était pas la seule faute du joueur, ce qui rendait plus aisé la qualification de faute grave, indispensable à la rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée.

Des restrictions également légitimes à la liberté d’expression du joueur
professionnel

Outre son absence injustifiée à un match du club quelques jours plus tard, il est également reproché au joueur d’avoir publié, sur ses réseaux sociaux, l’image d’un chien urinant sur un sondage défavorable publié par un site regroupant de nombreux supporters du club.

Or l’exercice de sa liberté d’expression dans le cadre de sa vie personnelle était également encadré contractuellement par son contrat de travail avec le club.

En effet, il était notamment prévu qu’il devait :

  • adopter un comportement irréprochable en dehors de ses activités sportives préservant les intérêts du club et le renom de son équipe ;
  • avoir une utilisation des réseaux sociaux ne constituant pas un trouble caractérisé et objectif pour le Club. Cette formulation permet, le cas échéant, de considérer que la création d’un trouble objectif caractérisé au club constitue un manquement contractuel et donc une faute contrecarrant les principes rappelés ci-avant.
  • faire preuve de courtoisie, d’amabilité et de disponibilité envers tous la presse en toute circonstance ;
  • ne pas adopter, en quelque circonstance, que ce soit, un comportement pouvant
    porter préjudice au fonctionnement et à l’image du club.

De manière comparable à l’atteinte éventuelle à sa vie personnelle, il est considéré que cette obligation, qualifiée de réserve, constitue un aménagement nécessaire dans le secteur du sport de haut niveau et respecte le principe de proportionnalité, au vu des formes d’expression qu’elle proscrit.

Ainsi, le contrôle usuel est opéré afin de déterminer si l’atteinte portée à la liberté d’expression est nécessaire et proportionnée au but recherché.

Dans une affaire ne concernant pas le secteur spécifique du sport de haut niveau, il a été jugé que le licenciement pour faute grave d’un manager sportif ayant diffusé sur un réseau social des images de son entraînement dans une salle concurrente de celle de son employeur n’était pas justifié (Cass. soc., 23 octobre 2024, n°23-18.381). Reste à déterminer si, dans cette espère, il aurait été considéré comme légitime, nécessaire et proportionné de proscrire au collaborateur toute mise en avant d’une salle concurrente, y compris dans le cadre de sa vie personnelle.

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