
Dans la commande publique, chaque jour compte pour les entreprises qui attendent le règlement de leurs factures.
L’Etat, les collectivités et les établissements publics sont pourtant prévenus : le code de la commande publique (CCP) impose des délais stricts avec sanctions automatiques en cas de retard (articles R. 2192-10 et suivants).
30, 50, 60 jours : le temps imparti
• 30 jours : c’est la règle pour l’État, ses établissements publics administratifs et les collectivités territoriales ;
• 50 jours : pour les établissements publics de santé ;
• 60 jours : pour les entreprises publiques et certaines entités adjudicatrices.
Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur (article R.2192-12 du CCP).
Passé ce délai, les acheteurs publics n’ont plus le choix : ils doivent verser des intérêts moratoires (calculés selon le taux BCE majoré de 8 points, art. R.2192-31 CCP) et une indemnité forfaitaire de 40 € (art.D.2192-35 du CCP). Aucune réclamation préalable n’est requise de l’entreprise, ces sommes sont dues de plein droit.
Les retards de paiement restent pourtant une difficulté majeure de la vie des entreprises, même si la généralisation de la facturation électronique via Chorus Pro a permis de limiter les retards, mais pas toutes les difficultés : factures bloquées, validations tardives, circuits internes trop lourds, numéros d’engagement multiples et/ou erronés : autant de freins au paiement rapide que la dématérialisation n’efface pas toujours.
Pourtant, des solutions existent pour obtenir le paiement des sommes dues par les acheteurs. L’aide de la Chambre régionale des comptes (1.) ou du préfet (2.) est trop souvent négligée alors qu’elle est efficace en pratique.
- La Chambre régional des comptes : une aide utile pour obtenir le paiement de toute « dépense obligatoire » (principal, intérêts moratoires et indemnité forfaitaire)
La chambre régionale des comptes (CRC) peut être saisie par toute personne y ayant intérêt qui constate qu’une « dépense obligatoire » n’a pas été inscrite au budget ou l’a été pour une somme insuffisante (article L.1612-15 du Code général des collectivités territoriales (CGCT)).
La CRC doit constater la situation dans un délai d’un mois à compter de sa saisine et adresser une mise en demeure à la collectivité concernée.
Si cette mise en demeure reste sans effet dans le mois suivant, la chambre demande au représentant de l’État d’inscrire la dépense au budget.
Elle peut proposer, si nécessaire, la création de ressources ou la diminution de dépenses facultatives pour couvrir la dépense obligatoire. Il appartient alors au préfet de rendre exécutoire le budget rectifié, en motivant explicitement toute décision qui s’écarte des propositions de la chambre.
Le recours aux CRC n’est pas purement théorique mais efficace en pratique.
Par exemple, dans un avis rendu le 18 décembre 2024, la chambre régionale des comptes de Bretagne a constaté le caractère obligatoire pour la commune de Guémené-sur-Scorff de payer les factures (ainsi que les intérêts moratoires et l’indemnité forfaitaire) dues au titulaire d’un marché d’études portant sur le schéma directeur des eaux usées de la commune. Après avoir constaté que la commune n’avait pas inscrit les crédits nécessaires, la CRC a rappelé au maire son obligation de mandater ces sommes dans les 30 jours suivant le paiement du principal, et l’a invité à soumettre une décision modificative budgétaire pour inscrire les crédits manquants (CRC Bretagne, 18 décembre 2024, Commune de Guémené-sur-Scorff, Avis n°2024-18).
La saisine de la CRC couvre ainsi le paiement de toute dépense obligatoire (principal, intérêts moratoires et indemnité forfaitaire) et semble donc à privilégier même si le CGCT prévoit, en complément, la possibilité de saisir le préfet.
- Le préfet : une aide efficace pour obtenir le paiement des intérêts moratoires et de l’indemnité forfaitaire
L’article L. 1612-18 du CGCT permet également de signaler au préfet le retard de paiement des sommes dues au titre des intérêts moratoires et de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévus par le CCP.
Si le législateur s’est pris les pieds dans le tapis en faisant référence à des articles du CCP aujourd’hui introuvables (L. 2192-8 et L.3133-8 du CCP), il reste que le principe est clairement énoncé : lorsque les sommes dues au titre des intérêts moratoires et de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement mentionnés par le CCP ne sont pas mandatées dans les trente jours suivant la date de paiement du principal, le représentant de l’Etat dans le département adresse à l’ordonnateur, dans un délai de quinze jours après signalement par le créancier, le comptable public ou tout autre tiers, une mise en demeure de mandatement.
Si aucune action n’est engagée dans le mois suivant la mise en demeure, le préfet procède d’office au mandatement dans les 10 jours suivants. Si l’ordonnateur notifie un refus motivé par une insuffisance de crédits, le préfet saisit la CRC dans les 15 jours, et procède au mandatement d’office après réception de la délibération ou de la décision rectifiant le budget.
Des solutions de recouvrement existent donc pour les entreprises créancières d’acheteurs publics trop lents, négligeant ou en difficulté financière. La clé réside dans la bonne connaissance de leurs droits : en utilisant ces recours, elles peuvent obtenir le règlement des sommes dues au titre des contrats de la commande publique et sécuriser leur trésorerie. Les entreprises créancières d’acheteurs publics doivent ainsi rester vigilantes et, en cas de retard, ne pas hésiter à solliciter l’intervention de la CRC et/ou du préfet.
Au-delà du juridique, le respect des délais de paiement est un enjeu de confiance économique : payer vite, c’est donner de l’oxygène aux entreprises et renforcer la fiabilité du secteur public dans ses relations avec le tissu économique. Le respect des délais de paiement est plus qu’une obligation… c’est un signal de fiabilité.
Par Paul Elfassi, associé, et Marie Paquier, counsel en droit public des affaires.
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