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« Déplacement unilatéral de l’assiette d’une servitude conventionnelle : appréciation de l’équivalence de commodité au regard du plan de prévention des risques naturels »

Arrêt commenté : Cass. civ. 3e, 25 janvier 2024, n°22-16.920, FS – B

Dans un arrêt du 25 janvier 2024, la Cour de cassation a précisé le contenu de l’une des conditions nécessaires au déplacement d’une servitude conventionnelle : la nouvelle assiette de la servitude doit être aussi commode que l’ancienne pour son bénéficiaire et ne peut donc pas méconnaître les prescriptions d’un plan de prévention des risques naturels (PPRN). Ce, même si l’ancienne assiette n’y était déjà pas conforme.

En principe, en présence d’une servitude du fait de l’homme, le propriétaire du fonds servant ne « peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage ou à le rendre plus incommode », et ne peut dès lors ni changer l’état des lieux, ni la déplacer dans un autre endroit 1.

Le troisième alinéa de l’article 701 du Code civil prévoit cependant une exception : le propriétaire du fonds servant peut imposer un déplacement de la servitude, sans que le bénéficiaire de la servitude ne puisse le refuser, aux conditions cumulatives :

  • Que l’assiette primitive soit devenue plus onéreuse ou empêche le propriétaire du fonds servant d’y faire des réparations avantageuses ;
  • Et que la nouvelle assiette soit aussi commode que l’ancienne pour l’exercice de ses droits par le bénéficiaire 2.

C’est sur cette seconde condition de la commodité de la servitude pour son bénéficiaire que la Cour de cassation s’est exprimée.

La commodité est appréciée souverainement par les juges du fond. Ils refusent par exemple le déplacement d’une servitude lorsqu’il en résulte une largeur moindre et une pente plus raide 3, ou lorsque les travaux envisagés par le propriétaire du fonds servant impliquent de la part du propriétaire du fonds dominant des aménagements à sa charge 4.

En l’espèce, une servitude de passage avait été déplacée sur une autre parcelle par le propriétaire du fonds servant, qui avait effectué des travaux d’aménagement après en avoir notifié les propriétaires du fonds dominant. Ceux-ci, mécontents de ces travaux, l’ont assigné en démolition du nouvel ouvrage et en rétablissement de la servitude originelle.

Le juge de première instance comme le juge d’appel ont rejeté leur demande.

Dans l’arrêt d’appel du 9 février 2022, la Cour d’appel de Bastia a fait référence à la définition que donne le Larousse de la « commodité » (« Qui se prête à l’usage requis ; approprié, favorable, pratique : Un outil commode. Qui est facile, qui n’offre pas d’obstacle, de difficulté ») et recherché, non pas si la nouvelle servitude était identique à l’ancienne, mais si elle était adaptée au même usage.

À cet égard, un argument des appelants, repris par le pourvoi, est le suivant : la nouvelle assiette ne respecte pas les prescriptions du Plan de Prévention Risques Naturels Prévisibles (PPRNP).

Le PPRNP, et plus précisément celui en matière d’incendies de forêt (PPRif), est un plan établi par le préfet afin de définir les mesures de prévention à mettre en œuvre dans certaines zones où une protection contre les incendies est nécessaire 5. En l’espèce, les fonds servant et dominant se situaient en « zone rouge » (les zones rouges étant les plus restrictives), dans laquelle le plan imposait une largeur de voie supérieure à 5 mètres et une pente maximale en long de 20% 6.

En effet, la pente est facteur de propagation des incendies, la convection et la vitesse de propagation des flammes étant augmentées par l’inclinaison du sol 7. La largeur des voies permet d’assurer la circulation des véhicules de lutte contre l’incendie, l’évacuation des zones concernées etc.

L’arrêt d’appel rejette cet argument au motif notamment que, si la pente de la nouvelle servitude excède 20%, ni l’ancienne ni la nouvelle servitude n’atteignent la largeur prescrite de 5 mètres – autrement dit, l’ancienne assiette ne respectait pas, déjà, le PPRif.

Au contraire, la Cour de cassation affirme que si le propriétaire du fonds servant entend déplacer la servitude, « il ne peut proposer comme nouvelle assiette qu’un endroit aussi commode et ne peut donc méconnaître les prescriptions d’un plan de prévention des risques naturels » et censure l’arrêt d’appel – peu important donc que l’ancienne assiette fut non conforme.

En résumé, l’appréciation de la commodité de la nouvelle assiette d’une servitude intègre comme critère la conformité aux prescriptions réglementaires (règles d’urbanisme et environnementales), lesquelles sont donc opposables au Juge judiciaire dans ce type de contentieux.

Cette solution s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence ayant déjà retenu, dans le cadre d’une action en fixation de l’assiette d’une servitude, que le tracé devait tenir compte des « contraintes d’urbanisme et environnementales applicables à cette parcelle située en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager 8 ».

1 Article 701 du Code civil alinéas 1 et 2
2 Article 701 du Code civil alinéa 3
3 Cass. civ. 3e, 24 mars 1982, n°81-10.510
4 CA Reims, ch. civ. 1, 12 novembre 2007, 06/02374
5 Article L. 131-17 du Code forestier ;
6 Cour d’appel de Bastia, 9 février 2022, n°19/00135
7 Dossier d’information Les feux de forêt, Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, Dir. de la Prévention des pollutions et des risques, Sous-dir. de la Prévention des risques majeurs, septembre 2002, pp. 6-7
8 Cass. civ. 3e, 5 septembre 2012, n°11-22.276, P

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