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La Ferrari TESTAROSSA : une marque vintage mais pas déchue

Ferrari détient depuis 2007 la marque internationale TESTAROSSA désignant l’Union européenne notamment pour des automobiles, des pièces détachées et des accessoires. La production des véhicules TESTAROSSA ayant cessé en 1996, l’EUIPO avait prononcé la déchéance de la marque pour défaut d’usage sérieux de cette dernière entre 2010 et 2015, considérant que seules des voitures d’occasion étaient commercialisées par des tiers, notamment des concessionnaires agréés. En application de la règle de l’épuisement des droits, le titulaire d’une marque n’a pas à consentir aux reventes en Europe d’un produit de sa marque. En l’occurrence, la chambre de recours avait alors considéré que Ferrari ne démontrait pas positivement son intervention et donc son consentement à la vente de voitures d’occasion par des tiers.

Contestant la position de l’EUIPO, Ferrari a introduit un recours devant le Tribunal de l’Union.

Par le présent arrêt, le Tribunal constate que l’usage de la marque TESTAROSSA n’est pas un usage effectué par un tiers n’entretenant aucun rapport avec elle, mais un usage fait par des concessionnaires et des distributeurs agréés, avec lesquels Ferrari entretient des liens économiques et contractuels. Ces liens présupposent que le titulaire de la marque a autorisé, ne serait-ce qu’implicitement, ledit concessionnaire ou distributeur agréé à utiliser ses marques dans le cadre de ses activités économiques sur le marché.

Or, sur le marché des automobiles d’occasion anciennes de collection, le fait qu’une voiture soit vendue par un concessionnaire agréé indique l’origine commerciale et rassure la clientèle sur la maintenance et le remplacement des pièces. Les factures présentées aux acheteurs portaient des mentions telles que « Ferrari Vertragshändler » ou « distributeur-réparateur agréé ».

De plus, Ferrari propose un service payant de certification attestant l’authenticité des voitures d’occasion TESTAROSSA, pour lequel le demandeur au certificat doit fournir des informations précises sur l’origine de chacune des pièces principales de la voiture (le moteur, le boitier de vitesse, le réservoir …), ainsi que l’historique sur leurs éventuels remplacements. Ces certificats rassurent les acheteurs sur l’origine commerciale et augmentent la valeur des véhicules. Le Tribunal a considéré que ce service constituait un usage sérieux conforme à la jurisprudence.

Le Tribunal annule donc intégralement la décision de l’EUIPO, démontrant qu’une marque peut conserver sa protection même après l’arrêt de production de nouveaux modèles, tant qu’elle continue à remplir sa fonction de garantie d’origine sur les marchés d’occasion.

Tribunal de l’Union Européenne, 2 juillet 2025, T 1103/23

Nullité de la marque tridimensionnelle constituée de la forme du Rubik’s cube

Aux termes de l’article 7 §1 e) ii) du Règlement sur la marque de l’Union européenne, sont refusés à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Le même motif de refus est codifié en droit interne à l’article L.711-2 5° du Code de la propriété intellectuelle.

Le 9 juillet 2025, sur le fondement de l’article précité, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé la décision de l’EUIPO prononçant l’annulation de la marque tridimensionnelle enregistrée en 2012 par la société Spin master Toys UK pour le signe tridimensionnel « Rubik’s Cube ».

Le Tribunal a considéré que les caractéristiques essentielles de la marque (forme de cube, structure en grille 2×2, différenciation en six couleurs basiques) sont toutes exclusivement fonctionnelles et nécessaires à l’obtention du résultat technique.

En particulier, concernant les couleurs, le Tribunal a jugé que « le fait que chaque face (et chaque petit carré) du cube soit distinguable par six couleurs différenciées constitue une caractéristique essentielle de la marque contestée qui est nécessaire à l’obtention du résultat technique », leur fonction étant « de permettre de distinguer, par un effet de contraste, chaque face du cube ».

Cet arrêt confirme ainsi que même des éléments apparemment esthétiques comme les couleurs peuvent être considérés comme fonctionnels s’ils sont nécessaires au résultat technique. Le Tribunal rappelle ici les limites strictes de la protection par le droit des marques pour des produits dont la forme est dictée par leur fonction, même lorsque ces derniers jouissent d’une renommée mondiale.

Tribunal de l’Union Européenne, 9 juillet 2025, T-1173/23

Certificats complémentaires de protection (CCP) : La Cour d’appel de Paris réaffirme et affine les critères d’éligibilité à la protection

Dans son arrêt du 16 mai 2025, la Cour d’appel de Paris est venue rappeler les conditions d’octroi d’un certificat complémentaire de protection (CCP), en apportant une nouvelle illustration de l’interprétation jurisprudentielle de l’article 3, a) du règlement (CE) n°469/2009.

L’affaire opposait la société Janssen Pharmaceutica NV à l’INPI, qui avait rejeté, par une décision du 12 août 2022, la demande de CCP de la société Janssen Pharmaceutica NV. Cette demande portait sur une combinaison de principes actifs utilisée contre le VIH, à savoir la rilpivirine et le ténofovir alafénamide.

D’après l’INPI, cette combinaison ne remplissait pas les conditions de l’article 3, a) du règlement (CE) n°469/2009, dans la mesure où le produit (en tant que combinaison de principes actifs) n’était ni nécessairement, ni spécifiquement identifiable à la lecture du brevet de base.

Pour rappel, l’article 3, a) dispose que « le certificat est délivré si, dans l’Etat membre où est présentée la demande (…) et à la date de cette demande : a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ».

Cette disposition, en raison de sa rédaction imprécise, a nécessité plusieurs interventions de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), venues en préciser la portée.

Dans ce contexte, et avant de se prononcer sur le refus de l’INPI, la Cour d’appel de Paris rappelle les lignes directrices de la jurisprudence européenne en la matière, et revient sur certains critères dégagés notamment par :

• l’arrêt TEVA (CJUE, C-121-17, 25 juillet 2018) qui a jugé que la combinaison de principes actifs peut être considérée comme protégée par le brevet si elle relève nécessairement de l’invention couverte par le brevet et que chaque principe actif est spécifiquement identifiable, à la lumière de toutes les informations divulguées par le brevet ;
• l’arrêt ROYALTY PHARMA (CJUE, C-650/17, 30 avril 2020), qui précise que la personne du métier doit pouvoir identifier le principe actif (qui n’a pas à être individualisé), de manière spécifique à la lumière du brevet, de ses connaissances générales et de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité ; ou encore
• l’arrêt ELI LILLY (CJUE, C-493-12, 12 décembre 2013) qui admet que la protection peut résulter d’une formule fonctionnelle, dès lors qu’il est spécifiquement identifiable par la personne du métier.

Ces décisions forment finalement un cadre d’analyse cohérent, articulé autour de deux exigences cumulatives :

  1. la nécessité du produit (en tant que principe actif ou combinaison de principes actifs) pour la mise en œuvre de l’invention ; et
  2. son identification spécifique par la personne du métier à la date pertinente.

C’est à la lumière de ces principes que la Cour d’appel de Paris applique le raisonnement au cas de la combinaison rilpivirine / ténogovir alafénamide.

Elle commence ainsi par rechercher si la combinaison litigieuse relève nécessairement de l’invention couverte par le brevet de base.

Contrairement à l’analyse de l’INPI, elle observe que la description du brevet mentionne que la rilpivirine peut être administrée avec d’autres agents antirétroviraux, et notamment avec des inhibiteurs de la transcriptase inverse nucléotidiques, catégorie à laquelle appartient le ténofovir alafénamide.

Elle relève également que la combinaison produit un effet synergique sur la réplication du VIH, dépassant la simple addition des effets de chaque principe actif pris isolément.

Ce caractère synergique permet de conclure que la combinaison répond à l’objectif technique du brevet.

Elle s’attarde ensuite sur le critère de l’identifiabilité spécifique du ténofovir alafénamide.

Elle rejette la position de l’INPI selon laquelle la simple mention du ténofovir alafénamide dans une liste étendue d’antirétroviraux ne permettait pas à la personne du métier de le considérer comme spécifiquement identifiable par le brevet, et rappelle que le produit (en tant que principe ou combinaison de principes actifs) n’a pas besoin d’être expressément individualisé, à condition qu’il soit spécifiquement identifiable à la date du dépôt ou de priorité, au vu du brevet, de l’état de la technique et des connaissances générales.

En l’espèce, plusieurs documents produits par la société Janssen Pharmaceutica NV, antérieurs à la date de priorité, identifiaient clairement le ténofovir alafénamide comme un inhibiteur actif contre le VIH appartenant à la classe des composés visés dans le brevet.

Dès lors, peu importe l’ampleur de la liste, si la personne du métier était en mesure de reconnaître sans ambiguïté ce principe actif dans le brevet de base.

La Cour annule donc la décision de l’INPI et juge que la demande de CCP remplit bien les conditions posées par l’article 3, a) du règlement (CE) n°469/2009.

Cet arrêt illustre une interprétation rigoureuse et pragmatique de la jurisprudence de la CJUE, et rappelle que la présence d’une liste large de composés n’exclut pas, en soi, l’identifiabilité spécifique, dès lors que le produit (en tant que principe actif ou combinaison de principes actifs) est objectivement reconnaissable par la personne du métier, à la date de dépôt du brevet ou de priorité.

Cour d’appel de Paris, 16 mai 2025, n°22/19239

Contrefaçon de mangas : les intermédiaires techniques contraints de bloquer l’accès au site Japscan

Le Syndicat national de l’édition (SNE), organisation représentative des éditeurs de livres, a saisi le Tribunal judiciaire de Paris contre les principaux fournisseurs d’accès à Internet français (Bouygues Télécom, Free, SFR, SFR Fibre et Orange) après avoir constaté la mise en ligne d’une plateforme publiant illégalement un grand nombre de mangas et de bandes dessinées en français.

Constatant que ledit site était géré depuis l’étranger, et que leurs administrateurs étaient dissimulés derrière des mesures techniques d’anonymisation, le SNE a donc décidé d’assigner à jour fixe les principaux opérateurs de communication électroniques devant le Tribunal judiciaire de Paris, afin de faire cesser l’atteinte aux droits d’auteurs de leurs écrivains.

Le Tribunal judiciaire de Paris, par un jugement en date du 23 juillet 2025 rendu selon la procédure accélérée au fond, a fait droit à la demande du syndicat et enjoint les intermédiaires, soit les fournisseurs d’accès à internet français, à prendre toutes les mesures propres pour bloquer l’accès à ce site dénommé Japscan. Les juges rappellent d’abord au visa des articles L.2132-3 du Code du travail et L.331-1 et L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle que les syndicats professionnels peuvent agir en justice pour défendre les intérêts collectifs de la profession et ils jugent ensuite que l’atteinte aux droits d’auteur est bien caractérisée.

Par ailleurs, les juges relèvent que le site ne comprend pas les mentions légales imposées par les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, pour en déduire que les opérateurs du site connaissaient le caractère illicite des liens postés sur ledit site litigieux, mais également que ce défaut d’indication des mentions légales rendait difficile la poursuite par le SNE des responsables de ce site faute de pouvoir les identifier.

Le Tribunal rappelle que l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle transposant l’article 8 paragraphe 3 de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins, permet aux titulaires de droits d’obtenir des mesures contre les intermédiaires dont les services sont utilisés pour porter atteinte aux droits d’auteur. Ces règles doivent s’articuler avec la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique et la jurisprudence européenne sur la responsabilité des intermédiaires en ligne (CJUE, n° C-236/08, Google France SARL ET Google contre Louis Vuitton Malletier SA 23 mars 2010 ; CJUE n°C-324/09 l’Oréal SA 12 juillet 2011) mises en balance avec le respect des libertés fondamentales.

Il en ressort que les mesures de blocage doivent être proportionnées. Ceci écarte donc de prendre toute mesure instaurant un contrôle généralisé, systématique et permanent ou encore celles portant atteinte à la substance même de la liberté d’entreprendre des fournisseurs d’accès à internet.

En conséquence, le Tribunal ordonne aux intermédiaires de mettre en œuvre, par les moyens techniques de leur choix, le blocage des noms de domaine identifiés dans un délai de 15 jours et pour une durée de 18 mois, tout en informant le SNE des mesures prises dans les meilleurs délais.

Tribunal Judicaire de Paris, 23 juillet 2025, RG n°25/07748

Pratiques commerciales trompeuses : Attention à l’emploi de mentions de type « greenwashing » et « cleanwashing ».

Par jugement du 4 juin 2025, le Tribunal des activités économiques de Nanterre a tranché le litige opposant la société NOO CORP (Joone Paris) à la société GREEN FAMILY (Love & Green), au sujet d’allégations environnementales et sanitaires utilisées dans la commercialisation de couches pour bébés.

En 2024, la société SAS NOO CORPS a assigné en référé, renvoyée au fond, la société SASU GREEN FAMILY en demandant la suppression de toutes ses communications utilisant le logo de l’hexagone ainsi que les mentions « PME familiale française » ; « neutre en carbone » ; « d’origine renouvelable » ; « compostable » ; « 0% allergène(s) » ; « aucun perturbateur endocrinien » ; ou encore « sans (substance) ». Sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses prévues par les dispositions des articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la consommation, le Tribunal fait partiellement droit à la demande.

Le Tribunal rejette ainsi les demandes de la société NOO s’agissant des allégations suivantes :

• « PME familiale française » : Les juges relevant que la société GREEN FAMILY est effectivement une PME française, considèrent que cette allégation n’est pas trompeuse.
• « Compostable » : Le tribunal rejette la demande car aucun produit n’était réellement commercialisé. Une communication sur des travaux de recherche ne suffit pas à elle seule à caractériser une pratique trompeuse.
• • Ou encore « sans petrolatum », « sans paraffine » et « sans sulfate » : Les juges estiment que les allégations « sans », tolérées à titre informatif par la DGCCRF et l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), ne constituent pas un dénigrement des concurrents faute de preuve apportée par la société demanderesse.

En revanche, le Tribunal ordonne pour l’avenir à la société GREEN FAMILY de s’abstenir de toute diffusion et communication de quelque nature que soit, sauf à circonstances nouvelles, d’utiliser les allégations suivantes :

• « neutre en carbone » : Le Tribunal rappelle que l’emploi de cette allégation est conditionné par l’article L229-68-1 du Code de l’environnement à la publication de deux informations : d’une part « un bilan d’émission de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou service » et, d’autre part, « la démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sont prioritairement évitées puis réduites ou compensées (…) ». En l’espèce, les juges retiennent que la société GREEN FAMILY n’a pas fourni de démonstration claire et transparente de la neutralité revendiquée.
• « d’origine renouvelable » : Les juges s’appuient sur le guide du Centre National de la Consommation exigeant que soit précisé « la nature de la manière renouvelable utilisée et sa proportion utilisée dans le produit fini ou l’emballage » pour employer cette allégation. En l’espèce, la société n’a fourni aucune de ces indications.
• Enfin, la décision est très intéressante s’agissant des allégations « sans allergènes », « sans perturbateurs endocriniens », En l’espèce, le Tribunal considère que les mentions « sans allergène » « sans perturbateur endocrinien » et « sans parabène » utilisées par GF ne répondent pas aux recommandations générales de la DGCCRF et de l’ANSM et sont potentiellement trompeuses car d’une part, elles ne sont définies par aucun texte officiel et d’autre part, qu’elles sont invérifiables.

Le jugement demeure à ce stade susceptible d’appel.

Tribunal de Commerce de Nanterre, 4 juin 2025, RG n° 2024F00512

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