Retour sur les JO : un exemple de mesures provisoires ordonnées en référé à l’encontre d’une société non partenaire des Jeux Olympiques de Paris2024, sur les fondements de l’atteinte aux propriétés olympiques et de l’ambush marketing
Comme on pouvait s’y attendre, la juridiction des référés a été saisie cet été par le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP) de cas d’atteintes aux propriétés olympiques et marketing d’embuscade. L’ordonnance rendue le 19 août 2024 en est l’illustration emblématique : LYCAMOBILE, qui a pour activité la commercialisation de services de téléphonie mobile, a effectué plusieurs publications sur internet et sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram, qui faisaient référence, directement ou indirectement, aux jeux olympiques, alors qu’elle n’est pas partenaire officiel de l’évènement, contrairement à son concurrent ORANGE.
Malgré plusieurs demandes du COJOP, LYCAMOBILE n’a pas mis fin aux actes litigieux, et a donc été assignée en référé, sur le double fondement de l’atteinte aux propriétés olympiques, et du parasitisme par « ambush marketing ».
En premier lieu, le Tribunal a logiquement constaté l’existence d’une atteinte vraisemblable aux propriétés olympiques, engageant la responsabilité de LYCAMOBILE. Celle-ci avait notamment utilisé dans plusieurs communications les termes « olympiques », les anneaux olympiques, « Paris2024 », le symbole des jeux olympiques de Paris2024 ou encore l’expression « Jeux Olympiques », en violation de l’article L. 141-5 du Code du sport qui institue un régime de protection autonome des propriétés olympiques et sanctionne leur utilisation non-autorisée.
En second lieu, le Tribunal a sanctionné l’utilisation par LYCAMOBILE de l’expression « offre médaille d’or », et de photographies d’un nageur dans une piscine, de médailles, ou encore d’un supporter français, exploités pendant la période des jeux olympiques de Paris2024. Alors que LYCAMOBILE avait invoqué l’usage du terme « olympique » dans son sens courant, et dans le contexte de publications à visée informative, les juges ont relevé leur objectif « essentiellement commercial ». Ils ont donc jugé que ces éléments démontraient « une volonté de la société LYCAMOBILE de se placer dans le sillage des jeux olympiques de Paris2024 et de bénéficier de leur notoriété sans bourse délier, engageant, sans contestation sérieuse, sa responsabilité ».
Le Tribunal a donc ordonné, sous astreinte, le retrait des publications litigieuses et prononcé une mesure d’interdiction, également sous astreinte. LYCAMOBILE a en outre été condamnée à verser au COJOP la somme de 20.000 euros à titre provisionnel.
TJ de Paris, Service des référés, 19 août 2024, n°24/55487
Fin de la saga judiciaire des deux bandes opposant ADIDAS à Isabel Marant et Sandro
Par deux arrêts récents du 24 juin 2024, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par la société ADIDAS contre deux arrêts d’appel rendus le 2 novembre 2022 par la Cour d’appel de Paris.
ADIDAS, en tant que titulaire de la célèbre marque aux trois bandes, reprochait aux sociétés titulaires des marques Isabel Marant et Sandro, une utilisation des bandes parallèles sur des vêtements. En 2018, ADIDAS avait introduit à l’encontre de ces deux sociétés une action en contrefaçon et concurrence déloyale. ADIDAS soutenait en effet que l’utilisation d’un design avec deux bandes par les marques de mode imitait sa marque à trois bandes mondialement connue, ce qui créait un risque de confusion chez les consommateurs et nuisait à la réputation de la marque ADIDAS.
En 2020, le Tribunal judiciaire de Paris avait rejeté les demandes en contrefaçon par imitation mais retenu une atteinte à la renommée des marques ADIDAS par la société Isabel Marant. Le 2 novembre 2022, par deux arrêts, la Cour d’appel de Paris est venue confirmer l’absence de contrefaçon et rejeter cette fois toute atteinte à la marque ADIDAS.
Par ces arrêts, la Cour rappelle que la renommée d’une marque est appréciée au regard de plusieurs critères établis tels que « l’ancienneté de la marque, son succès commercial, l’étendue géographique de son usage et l’importance du budget publicitaire qui lui est consacré (…) » pour retenir qu’en l’espèce, la marque ADIDAS en cause est effectivement une marque de renommée.
L’atteinte à une marque de renommé est constituée si le public concerné effectue un simple lien entre le signe et ladite marque, sans que la preuve du risque de confusion soit exigée. En l’occurrence, si ce lien entre les deux bandes et la marque de renommée a pu être retenu, il n’a pour autant pas suffi à retenir l’atteinte à la marque de renommée, faute pour ADIDAS d’avoir rapporté la preuve du profit indûment tiré de la renommée de sa marque ou du préjudice subi par cette dernière.
La Cour d’appel a considéré qu’il n’était pas démontré par ADIDAS que les sociétés Isabel Marant et Sandro se seraient placées dans le sillage de sa marque de renommée pour tirer indûment profit de sa forte attractivité. Sandro et Isabel Marant n’ont utilisé les deux bandes que comme motif ornemental, s’inscrivant dans une tendance de la mode, pour vendre des articles sous leurs marques respectives, lesquelles jouissent de leur propre pouvoir d’attraction.
Enfin, ADIDAS n’établit ni la modification du comportement économique du consommateur moyen ni le risque sérieux qu’une telle modification se produise dans le futur.
Cass. Com., 26 juin 2024, n° 23-12.640 ; Cass. Com., 26 juin 2024, n° 23-12.639.
Action en annulation d’une marque comprenant une date faisant faussement référence à l’ancienneté de l’entreprise titulaire : l’appréciation de sa déceptivité justifie de poser une question préjudicielle à la CJUE
L’appréciation de la déceptivité d’une marque continue de susciter des débats. Après la question préjudicielle posée à la CJUE au sujet de la déceptivité d’une marque comportant un nom patronymique (Cass. Com., 28 février 2024, n°22-23.833 – voir Newsletter IP Juin 2024), la Cour de cassation a posé une nouvelle question préjudicielle, portant cette fois sur la déceptivité d’une marque revendiquant une date.
Cette question s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant les maroquiniers de luxe FAURE LE PAGE et GOYARD ST-HONORE. FAURE LEPAGE avait acquis, en 2009, une première marque FAURE LEPAGE auprès de la société SAILLARD, qui l’avait elle-même déposée en 1989. La société SAILLARD, lors de ce dépôt, était actionnaire unique de la société MAISON FAURE LEPAGE qui existait depuis 1716 et avait fait l’objet d’une dissolution en 1992. GOYARD ST-HONORE reproche à FAURE LE PAGE d’avoir enregistré à l’INPI, en 2011, deux marques « Fauré Le Page 1717 », alors même que la société est immatriculée depuis 2009. GOYARD ST-HONORE l’accuse ainsi de tromper les consommateurs, en se prévalant d’une ancienneté qui n’est pas la sienne, FAURE LE PAGE n’ayant aucun lien avec la société historique MAISON FAURE LE PAGE ci-avant.
Après plusieurs arrêts rendus en 2016 et 2018, la Cour d’appel, sur renvoi après cassation, a prononcé la nullité des marques en litige, considérant que la date 1717 conduit le public « à croire à une continuité d’exploitation depuis 1717, ainsi qu’à une transmission de savoir-faire de l’ancienne MAISON FAURE LE PAGE à la société FAURE LE PAGE, gage, dans l’esprit du public concerné, de qualité des produits sur lesquels ces marques sont apposées ». Ces marques ont donc été jugées trompeuses, sur le fondement de l’ancien article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle (aujourd’hui L. 711-2 8°).
La Cour de cassation, saisie d’un nouveau pourvoi, n’a pas tranché cette question, qui mérite selon elle que soit posée une question préjudicielle à la CJUE, afin de clarifier l’interprétation à donner des dispositions européennes, sur lesquelles l’article L. 711-2 8° est fondé. Selon ces dispositions, peut être frappée de nullité la marque « de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».
Sur cette base, le caractère trompeur ou déceptif d’une marque doit-il porter sur les caractéristiques mêmes du produit ou du service ou, au-delà, peut-il porter sur les qualités de l’entreprise titulaire de la marque concernée ? C’est la question qui devra être tranchée afin d’apprécier si l’ancienneté revendiquée par la société FAURE LEPAGE dans ses marques, qui véhicule faussement auprès du public l’idée d’un savoir-faire ancien et d’une continuité d’exploitation depuis 1717, est trompeuse et doit entraîner la nullité de ces marques.
En l’occurrence, l’impact de ce type de revendication dans une marque, particulièrement dans le domaine du luxe, est réel et peut influer sur la décision d’achat des consommateurs, conférant à son titulaire un avantage concurrentiel. Une marque revendiquant une ancienneté ne devrait donc pas permettre de venir fausser le jeu de la libre concurrence.
Cass. Com., 5 juin 2024, n°22-11.499
Un phare de voiture peut-il être enregistré à titre de marque tridimensionnelle ?
En septembre 2012, la société Volvo Personvagnar AB a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement d’une marque tridimensionnelle représentant un modèle de phare avant de voiture de forme effilée vers la droite intégrant une forme LED graphique claire et géométrique ressemblant à un Y horizontal.
L’examinateur et la chambre des recours ont rejeté la demande d’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause en retenant son absence de distinctivité.
Le 26 juin 2024, le Tribunal de l’Union Européenne annule le rejet de l’enregistrement de la marque en cause en considérant que « les phares en cause diffèrent, de manière significative, des autres formes de phares » et que la marque tridimensionnelle visée est bien distinctive.
Par cet arrêt, le Tribunal rappelle qu’en matière de marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit lui-même « seule une marque qui de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine ».
En l’occurrence, le Tribunal retient que la forme Y horizontale n’est ni commune ni habituelle pour les produits du secteur automobile. De plus, cette apparence particulière constitue une forme suffisamment marquée lui permettant de se différencier des autres phares avant LED présents sur le marché. Enfin, le résultat esthétique d’ensemble est de nature à retenir l’attention du public concerné.
Plus généralement, le Tribunal estime que les phares sont devenus distinctifs en tant qu’éléments essentiels de l’aspect des véhicules permettant aux consommateurs de différencier les modèles des différents constructeurs sur le marché « la conception des phares avant est importante pour souligner l’origine commerciale […] ils peuvent être perçus à plus grande distance, à la lumière du jour et dans l’obscurité ».
Le Tribunal annule ainsi la décision de refus de l’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause en considérant cette dernière comme étant, dans son ensemble, dotée du minium de caractère distinctif requis au sens de l’article 7 paragraphe 1, sous b) du règlement 2017/1001.
Trib. UE, 7e ch., 26 juin 2024, aff. T-260/23, Volvo Personvagnar AB c/ EUIPO
Le défaut d’activité inventive d’un brevet pharmaceutique en présence d’un essai clinique de phase 3
Par un jugement du 6 septembre 2024, le Tribunal Judiciaire de Paris a prononcé la nullité de la partie française du brevet EP 2 493 466 portant sur l’utilisation à visée palliative du cabazitaxel dans le traitement du cancer de la prostate métastatique après échec de la privation hormonale puis échec d’une première thérapie à base de docétaxel. Les sociétés ACCORD HEALTHCARE, spécialisées dans la production et la vente de médicaments génériques et accusées de contrefaçon de ce brevet, avaient en effet initié une action parallèle en annulation de sa partie française. Elles fondaient leurs demandes sur une insuffisance de description, un défaut de nouveauté, et d’activité inventive.
Sur l’insuffisance de description, le Tribunal, constatant la présence, dans le brevet en litige, de données prouvant l’existence d’un effet thérapeutique favorable du cabazitaxel démontré selon plusieurs critères, et d’éléments permettant d’éviter les échecs prévisibles de la réalisation de l’invention, en déduit que l’invention en cause est suffisamment décrite. Cet argument d’ACCORD HEALTHCARE est ainsi rejeté.
La juridiction veille aussi à assurer la cohérence de l’appréciation de l’insuffisance de description et de celle de la nouveauté, afin de « donner un sens uniforme à l’invention dans les deux cas » : si, pour considérer une invention suffisamment décrite, l’effet thérapeutique ne doit pas être démontré mais seulement crédible et exécutable, cet effet technique doit être apprécié de la même manière dans l’art antérieur aux fins de statuer sur la nouveauté. Autrement dit, la présence dans l’art antérieur d’un effet technique crédible et exécutable suffira pour considérer que l’invention n’est pas nouvelle, sans qu’il soit nécessaire que l’effet technique en cause soit effectivement démontré dans l’art antérieur. Toutefois, elle rejette les demandes d’ACCORD HEALTHCARE sur le défaut de nouveauté, en l’absence de « divulgation d’une antériorité reflétant l’effet thérapeutique objet de la revendication 1 » dans l’effet clinique de phase 3 « Tropic » servant de base à l’analyse.
Les juges ont également évalué l’impact de cet essai clinique de phase 3 au regard du critère d’activité inventive. Ils ont d’abord rappelé les tendances jurisprudentielles en vigueur en France et à l’OEB, et relevé l’existence de divergences dans la prise en compte d’essais cliniques pour ce critère.
Alors que pour l’OEB un essai clinique de phase 3 crée en lui-même un espoir raisonnable de succès pour la personne du métier, il en va différemment pour les juges français, pour lesquels « un essai clinique ne détruit pas en soi l’activité inventive mais est de nature à influencer et renforcer l’enseignement tiré du reste de l’art antérieur ». L’approche française serait ainsi plus nuancée et casuistique.
En l’espèce, le Tribunal a tenu compte de l’existence de différents essais cliniques, et en particulier de l’essai clinique de phase 3 « Tropic », pour en déduire qu’il existait des chances que le cabazitaxel puisse être efficace sur le cancer de la prostate réfractaire au docétaxel. Il a ensuite déduit de son analyse des données de l’art antérieur que « la personne du métier aurait estimé que, comparé à la mitoxantrone dont elle savait qu’elle n’avait qu’un effet palliatif en première ligne et n’était pas même approuvée pour une utilisation en deuxième ligne, l’expérimentation du cabazitaxel en deuxième ligne en cours dans un essai de phase 3 depuis plus de trois ans, avait des chances raisonnables de montrer un effet favorable incluant l’augmentation (modérée) de la survie », pour prononcer la nullité de l’ensemble des revendications du brevet en litige.
Il est probable que ce jugement fera l’objet d’un appel, permettant également à la Cour d’appel de se prononcer sur cette question de l’impact d’essais cliniques de phase 3 sur la validité d’un brevet.
TJ de Paris, 3ème Chambre – 2ème Section, 6 septembre 2024, n°21/06416
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