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CJUE – Retour sur la charge de la preuve de l’épuisement du droit de marque

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est revenue, dans un arrêt du 18 janvier 2024, sur la question de la charge de la preuve en matière d’épuisement des droits de marques.
Dans cette affaire, Hewlett Packard (HP), titulaire des marques de l’Union européenne HP, reprochait à la société Senetic des actes de contrefaçon de marque tenant à l’introduction dans l’Espace économique européen (EEE) de produits revêtus desdites marques sans son autorisation.
En l’espèce, HP commercialise par l’intermédiaire d’un réseau de distribution sélective des produits d’équipement informatique, pourvus de numéros de série permettant à HP de savoir à quel marché ces produits étaient destinés. Néanmoins, ce numéro de série n’est pas un marquage permettant aux tiers de savoir si ces produits étaient destinés au marché de l’EEE.
HP a saisi les juridictions polonaises afin de faire cesser l’atteinte alléguée portée à ses marques. Senetic a invoqué comme moyen de défense l’épuisement des droits de marques de HP sur ces produits, qui auraient été antérieurement mis sur le marché de l’EEE par HP ou avec son consentement.
Saisie par la juridiction polonaise d’une question préjudicielle, la CJUE devait déterminer si la charge de la preuve de l’épuisement des droits pèse uniquement sur le défendeur à l’action en contrefaçon lorsque les produits en cause, relevant d’un réseau de distribution sélective, ne comportent aucun marquage permettant aux tiers d’identifier le marché sur lequel ils sont destinés à être commercialisés, et que le défendeur a obtenu des vendeurs l’assurance qu’ils pouvaient être commercialisés dans l’EEE légalement, le titulaire de ladite marque ayant refusé de procéder lui-même à cette vérification.
A la lumière de sa jurisprudence antérieure Van Doren, la CJUE a réaffirmé que si la charge de la preuve de l’épuisement des droits pèse en principe sur le défendeur qui invoque ce moyen, elle doit être aménagée lorsque celui-ci démontre qu’elle est de nature à permettre au titulaire de la marque de cloisonner les marchés nationaux, favorisant ainsi le maintien des différences de prix existant entre les Etats.
La CJUE a constaté, d’une part, que faire peser la charge de la preuve sur la partie défenderesse l’expose à la difficulté de rapporter cette preuve en raison de l’absence de marquage des produits, et de la réticence des fournisseurs à révéler leur source d’approvisionnement. D’autre part, même si le défendeur démontrait que les produits provenaient du réseau de distribution sélective du titulaire, le titulaire pourrait empêcher toute possibilité future d’approvisionnement auprès du membre de son réseau de distribution qui a manqué à ses obligations contractuelles.
Dès lors, la CJUE a jugé que s’agissant de produits appartenant à un réseau de distribution sélective, n’étant revêtus d’aucun marquage relatif à leurs conditions de commercialisation, la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par une marque de l’UE devait être aménagée. Ainsi, le titulaire aura la charge d’établir qu’il a réalisé ou autorisé la première mise en circulation des exemplaires des produits concernés en dehors du territoire de l’Union, ou de celui de l’EEE. Si cette preuve est rapportée, il incombera à la partie défenderesse à l’action en contrefaçon d’établir que ces mêmes exemplaires ont ensuite été importés dans l’EEE par le titulaire de la marque ou avec son consentement.
La CJUE propose par cet arrêt une solution opérationnelle aux titulaires de marques, en les incitant à marquer leurs produits de façon explicite afin d’en contrôler la circulation et, pour les tiers, de disposer de l’information relative au territoire de commercialisation.
CJUE, 18 janvier 2024, C-367/21, Hewlett Packard c/ Senetic

Certificat complémentaire de protection : l’application du test en deux étapes permettant de déterminer si le produit objet d’un CCP est protégé par un brevet de base en vigueur n’est pas nécessaire lorsque chaque composé de la combinaison est expressément visé par au moins une revendication du brevet de base

Par un arrêt du 12 janvier 2024, la cour d’appel de Paris a précisé les conditions d’application du test en deux étapes résultant de la jurisprudence européenne afin de déterminer si le produit objet d’un certificat complémentaire de protection (CCP) est protégé par un brevet de base en vigueur et tranché l’interprétation de l’article 3 c) du Règlement CE n°469/2009
Le litige opposait le laboratoire Merck, titulaire d’un brevet ayant notamment pour objet de nouveaux antidiabétiques, aux laboratoires génériqueurs Mylan et Viatris.
La société Merck était titulaire de deux CCP, l’un portant sur la sitagliptine comme seul principe actif, et l’autre portant sur une combinaison de sitagliptine et de metformine. La société Merck a constaté que les sociétés Mylan et Viatris avaient obtenu deux AMM ayant pour objet une combinaison de sitagliptine et de metformine, et entrepris des démarches pour commercialiser cette spécialité sous deux dosages sur le marché français.
Estimant que la mise sur le marché de ces produits génériques portait atteinte à son CCP sur la combinaison sitagliptine/metformine, toujours en vigueur, Merck a saisi le juge des référés aux fins d’obtenir l’interdiction de la commercialisation de la spécialité Mylan, et ce jusqu’à l’expiration dudit CCP.
Les sociétés Mylan et Viatris ont interjeté appel de l’ordonnance de référé les ayant condamnées en contestant la validité du CCP opposé, notamment au motif de l’absence de protection du produit par un brevet de base en vigueur au sens de l’article 3 a) du Règlement CE n°469/2009, et sollicité de la Cour d’appel l’application du test en deux étapes. Issu des arrêts de la CJUE Teva/Gilead et Royalty Pharma, ce test repose sur deux conditions cumulatives que sont, d’une part, la nécessité pour le produit de relever, pour l’homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l’invention couverte par ce brevet, et d’autre part, la possibilité pour l’homme du métier d’identifier ce produit de façon spécifique, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet, et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité dudit brevet.
La Cour a rappelé, à la lumière de la jurisprudence européenne, que ce test en deux étapes est nécessaire uniquement lorsque le produit objet du CCP n’est pas explicitement mentionné dans les revendications du brevet de base. En l’espèce, la Cour a relevé que chaque composé de la combinaison était individuellement et expressément visé par au moins une revendication du brevet de base, de même que la combinaison de ces principes actifs. Dans ces conditions, l’homme du métier pouvait identifier cette combinaison tant par les revendications du brevet que par sa partie descriptive. Le test en deux étapes n’était donc pas nécessaire.
La Cour d’appel a également précisé que l’article 3 c) du Règlement CE n°469/2009, qui dispose que le produit ne doit pas avoir déjà fait l’objet d’un CCP, devait être interprété comme visant « « un certificat » et non pas des demandes déposées ou en cours d’examen, et dès lors un CPP délivré ». En l’espèce, tandis que le CCP portant sur la sitagliptine seule avait été demandé avant le CCP sur la combinaison sitagliptine/metformine, le second avait été délivré avant le premier. Les sociétés Mylan et Viatris contestaient, au regard de la demande de CCP sur la sitagliptine formée antérieurement par la société Merck, la validité du CCP sur la combinaison sitagliptine/metformine. La Cour a considéré qu’une demande de certificat antérieure mais dont la délivrance du CCP a eu lieu postérieurement n’est pas de nature à remettre en cause un CCP délivré.
Ainsi, en l’absence de contestation sérieuse élevée par les sociétés Mylan et Viatris quant à la validité du CCP opposé, la cour d’appel a confirmé l’ordonnance de référé.
CA Paris, 12 janvier 2024, n° 22/16673

Le contrat de représentation exclusive conclu entre un influenceur et une agence de communication n’est pas un contrat de travail

Par un arrêt du 23 février 2024, la Cour d’appel de Paris confirme la décision de première instance ayant rejeté la demande de requalification du contrat de représentation conclu avec une agence de communication en contrat de travail.
Dans cette affaire, un influenceur a été assigné par son agence pour avoir notifié la résiliation anticipée de son contrat. Estimant que son contrat devait être requalifié en contrat de travail, l’influenceur a soulevé une exception d’incompétence au profit du conseil des prud’hommes. Il revendiquait l’application du statut de mannequin et subsidiairement celui d’artiste interprète.
Le contrat en cause confiait à l’agence la gestion de la participation de l’influenceur aux campagnes Instagram et TikTok, la définition des orientations de sa carrière professionnelle et des termes de ses contrats, la représentation de l’influenceur lors des négociations, ainsi qu’un rôle d’apporteur d’affaires. En contrepartie, l’agence percevait une commission de 30 % du chiffre d’affaires brut réalisé, tandis que l’influenceur pouvait demander à l’agence le versement d’avances mensuelles sur ce chiffre d’affaires.
La Cour d’appel a validé la compétence du Tribunal de commerce et a écarté l’application des régimes relatifs aux statuts de mannequin et d’artiste interprète lesquels sont présumés être des contrats de travail même en l’absence de lien de subordination.
Pour exclure le statut de mannequin, la Cour a souligné que l’influenceur disposait d’une totale liberté de choix quant à la sélection et la mise en scène des campagnes qui lui étaient proposées par l’agence et a indiqué que « ces mises en scène ne se limitaient pas une reproduction de son image ou à des poses comme modèle, au sens de l’article de L. 7123-2 du code du travail ».
Quant à la requalification d’artiste interprète, la Cour l’a également exclue, considérant que l’influenceur « n’avait aucun rôle prédéfini à jouer ni aucun texte à dire, dans le cadre des vidéos, mais qu’il créait lui-même des mises en scènes, afin de promouvoir les produits ».
Pour finir, la Cour confirme que l’activité visée par le contrat revêtait effectivement la qualification d’acte de commerce, justifiant ainsi la compétence du Tribunal de commerce.
Cour d’appel de Paris, 23 février 2024, n° 23/10389

La publicité de Rigoni « Nocciolata, c’est sans huile de palme » mettant en scène un orang-outan n’est pas constitutive de dénigrement indirect à l’encontre de Ferrero

Par un arrêt du 8 décembre 2023, la Cour d’appel de Paris a écarté les faits de dénigrement indirect et de parasitisme reprochés à la société Rigoni par la société Ferrero.
La publicité visée mettait en scène un enfant mangeant de la pâte à tartiner « Nocciolata » à côté d’une peluche représentant un orang-outan, diffusée avec le slogan : « Nocciolata, c’est sans huile de palme ».
Estimant que cette publicité faisait référence à la polémique suscitée par l’utilisation d’huile de palme dans la production de la pâte à tartiner « Nutella », Ferrero a assigné Rigoni en dénigrement et parasitisme.
La Cour d’appel de Paris est venue confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris et débouter la société Ferrero de l’ensemble de ses demandes.
Si 5% des personnes interrogées dans le cadre d’un sondage réalisé pour Rigoni citaient la référence au produit Nutella après avoir visionné cette publicité, la Cour a néanmoins retenu l’absence de lien opéré par le consommateur entre ladite publicité et le Nutella.
Pour la Cour, la seule référence à l’absence d’huile de palme dans le produit Nocciolata, même associée à un orang-outan en peluche, n’était pas de nature à stigmatiser les pâtes à tartiner contenant de l’huile de palme, et partant, à jeter le discrédit sur le produit Nutella de la société Ferrero.
Sur le parasitisme, la Cour d’appel a considéré que s’il n’est pas discuté que la pâte à tartiner Nutella est un produit phare de la société Ferrero, il n’est cependant pas établi qu’en diffusant la publicité en cause qui présente, en dehors de toute polémique, un produit sans huile de palme, biologique et respectueux de l’environnement, la société Rigoni ait voulu s’inscrire sans bourse délier dans le sillage de la société Ferrero.
CA Paris, 8 décembre 2023, n°22/04756

Vers une norme européenne en faveur d’un streaming musical équitable et transparent ?

Le 17 janvier 2024, les députés européens ont adopté une résolution en faveur de l’élaboration d’un nouveau cadre juridique visant à assurer l’équité et la durabilité dans le secteur du streaming musical.
En effet, si le Parlement européen reconnaît que les plateformes de musique numérique et les services de partage de musique constituent le principal moyen d’accès, représentant 67 % du chiffre d’affaires mondial du secteur de la musique, il constate toutefois l’absence de règle actuellement applicable aux services de diffusion de musique en continu. Sont ainsi dénoncés le caractère inéquitable du système de rémunération actuel des auteurs et artistes-interprètes, ainsi que le manque de transparence des systèmes d’intelligence artificielle utilisés.
Tout d’abord, le Parlement relève la nécessité de réviser les « taux de redevance antérieurs à l’ère numérique » aujourd’hui toujours appliqués. En outre, le système actuel de « payola » permet aux maisons de disques de payer les diffuseurs pour qu’ils mettent en avant certains morceaux de certains artistes. Par ce système, les auteurs et artistes-interprètes sont conduits à accepter des revenus inférieurs ou nuls en échange d’une plus grande visibilité.
En parallèle d’une réforme du système de rémunération, le Parlement soulève la pertinence d’une action pour promouvoir les œuvres musicales européennes, parmi la « masse considérable » de contenus disponibles sur les plateformes de diffusion de musique en continu. Pourraient notamment être mis en place des quotas d’œuvres musicales européennes, afin de mettre en lumière « les styles moins populaires et les langues moins courantes ».
Enfin, le Parlement déplore le manque de transparence des systèmes d’intelligence artificielle actuellement utilisés. A cet égard, le projet de loi viserait, d’une part, à lutter contre les pratiques déloyales de manipulation des chiffres d’écoute, par la consécration d’obligations de transparence à la charge des plateformes quant à leurs algorithmes et outils de recommandation. D’autre part, le Parlement sollicite une meilleure information des auditeurs, par exemple par l’introduction d’un label informant le public lorsque les chansons écoutées ont été générées par l’intelligence artificielle. Cette information du public vise notamment à lutter contre le développement des « deepfakes » sur les plateformes de streaming musical.

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