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Le sampling : contrefaçon ou liberté d’expression ?

Le 8 février 2023, la Cour de cassation s’est finalement prononcée sur la caractérisation d’une contrefaçon de droit d’auteur et de droits voisins dans le cas de l’utilisation d’un sample. Cet arrêt est d’autant plus essentiel en pratique que le sampling fait aujourd’hui partie des techniques de création musicale des plus répandues.

Le sampling désigne l’utilisation d’une œuvre musicale dans une nouvelle composition, sans autorisation préalable du titulaire des droits d’auteur. C’est alors sans surprise que ce procédé soulève de nombreuses interrogations confrontant les droits de la propriété intellectuelle et la liberté artistique.

Dans cette affaire, le groupe de musique The Dø a assigné aux côtés de ses producteurs, l’artiste DJ Feder en contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins pour son utilisation d’un extrait de leur œuvre The bridge is broken dans son titre Goodbye.

Les juges de première instance ont d’abord rejeté la contrefaçon au titre du droit d’auteur mais accueillis favorablement celle au titre des droits voisins. Ils ont en effet estimé que l’œuvre Goodbye reproduisait un échantillonnage non autorisé de l’enregistrement de The bridge is broken (TGI Paris, 7 novembre 2019, n°19/03440).

Le 10 septembre 2021, la Cour d’appel de Paris a quant à elle partiellement infirmé le jugement de première instance, en jugeant qu’il n’y avait aucune contrefaçon, ni de droits d’auteur, ni de droits voisins (CA Paris, 10 septembre 2021, n°19/22618). Pour elle, le segment du morceau ayant fait l’objet d’un sample ne constituait pas un gimmick (cellule de quelques notes qui captent l’oreille de l’auditeur), n’était pas une partie déterminante permettant de caractériser la personnalité de l’auteur, et ne participait donc pas à l’originalité de l’œuvre première prise dans son ensemble. Par ailleurs, la Cour n’a pas été convaincue par l’atteinte aux droits voisins dans la mesure où la reprise exacte de l’extrait de The bridge is broken dans Goodbye ne faisait l’objet d’aucune certitude au regard des pièces versées au débat.

Le groupe The Dø et ses producteurs ont alors formé un pourvoi en cassation reprochant notamment à la Cour d’appel son argumentaire sur l’absence d’empreinte de la personnalité de l’auteur de la reprise litigieuse. Pour accueillir la demande en contrefaçon de droit d’auteur, la partie samplée doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur et en substance être, en elle-même, originale. Sur ce point, la Haute juridiction a rappelé que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que les juges du fond ont estimé que la partie reprise de The bridge is broken ne participait pas de l’originalité de l’œuvre première prise dans son ensemble.

Sur un autre moyen, les demandeurs ont reproché à la Cour d’avoir rejeté leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits voisins, soit des droits du producteur de phonogramme et d’artistes-interprètes. S’agissant de l’atteinte aux droits voisins, il est nécessaire de démontrer que l’enregistrement est repris à l’identique, ce qui n’était pas exactement le cas en l’espèce. Là encore, la Cour de cassation a estimé qu’il appartenait aux juges du fond, dans leur pouvoir souverain d’appréciation, de juger cette atteinte.

Cass. Civ 1re , 8 février 2023, n°21-24.980

CCP : quand la Cour de cassation se saisit de l’interprétation du Règlement CCP

Par ses sept arrêts rendus le 1er février 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur certains des critères d’admissibilité des certificats complémentaires de protection (CCP) tels que prévus par le Règlement n°469/2009 sur les CCP.

Elle a cependant sursis à statuer dans trois des affaires soumises à son examen (n°18-21.903, 19-16.741 et 20-20.904), impliquant la société MERCK SHARP & DOHME, qui concernaient la question spécifique des CCP portant sur des combinaisons d’une substance active nouvelle et d’une autre substance déjà connue. Des questions préjudicielles sur le sujet ont en effet été posées à la CJUE par la Finlande et par l’Irlande (affaires C-119/22 et C-149/22), au regard de l’interprétation à donner des critères des articles 3 a) et c) du Règlement CCP (produit protégé par un brevet de base, et qui n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat).

Dans les quatre autres arrêts, la Cour de cassation a eu à se prononcer dans des litiges ayant pour origine des recours contre des décisions de rejet par l’INPI de différentes demandes de CCP. Elle a ainsi apporté des précisions quant à l’interprétation à donner des articles 1 b), 3 c) et surtout 3 a) du Règlement CCP.

Dans l’arrêt relatif à l’halozyme (n°21-15.221), la Cour de cassation a posé, sur le fondement de l’article 1 b) du Règlement CCP (qui définit la notion de produit), une présomption réfragable selon laquelle lorsque, dans une AMM, une substance n’est pas définie comme un principe actif, alors elle « ne produit pas d’effet pharmacologique, immunologie ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques visées par cette AMM ». Elle a donc confirmé la décision de la Cour d’appel qui avait elle-même confirmé la décision de rejet, par l’INPI, d’une demande de CCP portant sur une combinaison de trastuzumab et de hyaluronidase humaine recombinante, cette dernière substance étant présentée, dans l’AMM, comme un excipient, et le trastuzumab ayant été l’objet d’une AMM antérieure.

Dans les autres arrêts, la Cour de cassation s’est ensuite prononcée sur l’interprétation à donner de l’article 3 a) du Règlement CCP, dans la lignée de la position de la CJUE dans l’affaire ROYALTY PHARMA (C-650/17) au sujet de la notion d’activité inventive autonome. Ces trois affaires avaient en commun de concerner des demandes de CCP portant sur des substances non pas identifiées dans le brevet de base servant à la demande, lequel comportait une définition fonctionnelle d’un produit, mais découvertes par la suite, et protégées dans des brevets ultérieurs.

Dans les deux affaires impliquant la société ONO (n°21-13.663 et 21-13.664), la Cour a cassé les arrêts rendus par la Cour d’appel au sujet du pembrolizumab et du nivolumab, dans lesquels la Cour d’appel avait retenu qu’il avait fallu plusieurs années et inventeurs pour déposer des brevets portant spécifiquement sur ces substances, constituant « un indice robuste de la complexité des recherches à effectuer et de la nécessité de procéder […] à une activité inventive autonome » au sens de la jurisprudence ROYALTY PHARMA. La Cour de cassation a ainsi censuré l’approche de la Cour d’appel, qui devait rechercher si la découverte de ces substances n’aurait pas pu être réalisée par l’homme du métier, au regard de l’art antérieur, et par la mise en œuvre d’opérations de routine.

C’est précisément ce test qui a été validé dans l’affaire impliquant la société WYETH et portant sur l’osimertinib (n°21-17.773), et dans laquelle la Cour de cassation a rejeté le pourvoi qui reprochait à la Cour d’appel d’avoir considéré que l’osimertinib ne relevait pas « de l’objet de la protection du brevet de base invoqué ».

Enfin, dans la décision relative au nivolumab, la Cour de cassation, s’agissant du critère d’appréciation de l’article 3 c) (produit n’ayant pas déjà fait l’objet d’un certificat), a également rappelé, en matière de cotitularité du brevet de base, qu’un tel critère « doit s’apprécier à l’égard de chacun des cotitulaires d’un brevet sur la base duquel est demandé un CCP pour un même produit, et non à l’égard de l’indivision constituée par les cotitulaires, laquelle est dépourvue de toute personnalité juridique ».

La Cour, se plaçant dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE rendue en matière de CCP, tente donc, par ces sept décisions, de clarifier les critères d’admissibilités des CCP en France.

Vers une possible admissibilité en France de la brevetabilité des inventions faisant intervenir un logiciel

En droit français, les logiciels, étant protégés par le droit d’auteur, ne sont pas brevetables. Les juges français se sont donc traditionnellement montrés réticents à permettre la brevetabilité d’inventions mettant en œuvre des logiciels.

La Cour de cassation vient d’ouvrir une brèche à cette approche, dans un litige opposant l’INPI à la société THALES, s’agissant de l’enregistrement du brevet français n°10 04947 portant sur un « procédé d’affichage temporel de la mission d’un aéronef ». En l’espèce, l’INPI avait refusé l’enregistrement de ce brevet, au motif que son objet ne concernait qu’une présentation d’informations associée à une méthode mathématique, exclues de la brevetabilité en vertu de l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle. La société THALES a donc exercé un recours devant la Cour d’appel contre cette décision.

La Cour d’appel, dans un arrêt du 21 mai 2019, a identifié deux caractéristiques dans la revendication 1 du brevet, et considéré que la seconde, qui permettait à l’utilisateur pilote de choisir la partie du dispositif de visualisation qu’il souhaitait afficher, comportait un « moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes », ledit moyen produisant un effet technique, en « aidant le pilote à sélectionner parmi celles-ci les plus pertinentes ».

Suite au pourvoi de l’INPI, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant une Cour d’appel autrement composée, reprochant à la première Cour d’appel de ne pas avoir donné de base légale à sa décision, « en se bornant à reproduire les termes de la revendication 1, sans établir l’existence d’une contribution technique apportée par la demande de brevet ni expliquer en quoi les moyens revendiqués dans cette demande avaient le caractère de moyens techniques distincts de la simple présentation d’informations ».

Autrement dit, la Cour de cassation n’exclut pas qu’une invention mettant en œuvre un logiciel puisse être brevetée, à la condition que soit démontrée l’existence d’une contribution technique.

Certains commentateurs ont vu dans cette décision un rapprochement de la jurisprudence française avec celle de l’OEB, et en particulier avec la décision HITACHI du 21 avril 2004 (T 258/03), selon laquelle, en matière d’activité inventive, le fait de revendiquer des moyens techniques suffit à caractériser l’invention.

La décision à venir de la Cour d’appel de renvoi dans cette affaire sera donc scrutée avec attention.

Cass. Com, 11 janvier 2023, n°19-19.567

Protection des slogans par le droit des marques, qu’en est-il ?

Le Tribunal de l’Union Européenne, dans sa décision du 15 mars 2023, a confirmé la décision rendue par la Chambre de Recours de l’EUIPO, rejetant la demande d’enregistrement d’un slogan à titre de marque pour défaut de caractère distinctif.

En septembre 2020, la société Katjes Fassin avait présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union Européenne pour le signe verbal « THE FUTURE IS PLANT-BASED ». La demande de marque désignait les produits des classes 5 (compléments alimentaires), 30 (aromes végétaux), 32 (comprimés effervescents).

L’EUIPO avait alors rejeté cette demande d’enregistrement pour défaut de caractère distinctif. L’examinateur relevait que seuls les aspects positifs des produits étaient mis en évidence par le signe, à savoir que les produits fabriqués à base de plantes représentent l’avenir de l’alimentation humaine. Dans ce contexte, la marque apparaissait comme purement laudative.

Suite à ce rejet de demande d’enregistrement, la requérante a formé un recours.

Dans sa décision du 21 décembre 2021, la Chambre de Recours a rappelé ensuite qu’un slogan pouvait être enregistré à titre de marque à condition que ce dernier soit doté d’un caractère distinctif, c’est-à-dire lorsqu’il peut être perçu par le public concerné, au-delà du simple message publicitaire, comme une indication de l’origine commerciale des produits ou des services en cause.

En l’espèce, la Chambre a relevé que les produits visés par la demande d’enregistrement pouvaient tous être constitués à base de plantes. Ainsi, lorsque le consommateur voit le slogan « THE FUTURE IS PLANT-BASED », il ne peut le comprendre que dans le sens où les produits ont été fabriqués naturellement à base de plantes (« IS PLANT BASED ») et sont donc tournés vers l’avenir (« THE FUTURE IS »).

En reprenant les motifs de l’examinateur, la Chambre a retenu que le slogan « THE FUTURE IS PLANT-BASED » faisait effectivement l’éloge de produits à base de plante. En conséquence, il ne s’agissait que d’un message publicitaire purement factuel, selon lequel les aliments de nature végétale sont les produits de l’avenir. Le slogan est donc dépourvu de de caractère distinctif, en ce qu’il n’indique pas l’origine commerciale des produits visés par la demande d’enregistrement.

Les décisions relatives à des demandes d’enregistrement de slogan sont multiples. En octobre 2021, l’EUIPO a publié un rapport sur le caractère distinctif des slogans, visant à aider les entreprises à déposer des slogans à titre de marques. Un slogan constitue une marque distinctive si le déposant fait un effort conceptuel ou linguistique, permettant de s’écarter du seul message publicitaire.

TUE, T-133/22, 15 mars 2023, Katjes Fassin / EUIPO

Dessin et modèle : l’examen approfondi par les juges de l’apparence d’un produit permettant d’écarter la contrefaçon

La SAS Idéal Promotion est titulaire d’un modèle français portant sur une boîte en forme d’œuf.

En avril 2017, cette dernière a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille en contrefaçon dudit modèle la société L’Occitane France, laquelle proposait à la vente des packagings métalliques de forme ovoïde.

Par jugement du 12 septembre 2019, le TGI de Marseille a accueilli cette demande.

La société L’Occitane France a alors fait appel du jugement, en soutenant que le modèle en forme d’œuf appartenant à la SAS Ideal Promotion était nul en ce qu’il ne répondait pas à la double exigence de nouveauté et de caractère propre prévu aux articles L. 511-2 et L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Dans sa décision du 6 avril 2023, la Cour d’Appel d’Aix en Provence a retenu la validité du modèle appartenant à la SAS Ideal Promotion.

A cet égard, s’agissant du critère de la nouveauté, la Cour a relevé des différences conséquentes entre le modèle revendiqué et les modèles antérieurs. S’agissant du caractère propre du modèle, qui est apprécié en tenant compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle, la Cour a retenu que c’était par la combinaison de la forme ovoïde du produit, d’une base aplatie sur une petite surface située à l’extrémité inférieure de l’objet, et d’une fine ligne longitudinale rend « le modèle épuré dans toutes ses lignes, et produit sur un observateur averti une différence claire avec celle produite sur lui par le patrimoine des dessins ou modèles de boites en forme d’œuf. ».

En revanche, la Cour a rejeté l’action en contrefaçon. Les juges ont en effet relevé des différences notables entre le modèle et le packaging contesté. Ils ont considéré que ce dernier ne présentait pas de bords « à gorge » ou « à lèvres » permettant un emboitement des deux parties de la boîte, à savoir l’une des caractéristiques essentielles du modèle de la SAS Ideal Promotion. En résultait ainsi une impression d’ensemble différente.

Cette décision est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui rappelle régulièrement que l’appréciation de la contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle nécessite seulement de rechercher si l’impression visuelle d’ensemble produite par une copie alléguée est identique, ou différente, du dessin ou du modèle pour lequel la contrefaçon est invoquée (voir par exemple Cass, com, 23 juin 2021 n°19-18.111).

CA d’Aix-en-Provence, Chambre 3 1, 6 avril 2023, n°19/17628.

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