Animateurs, auteurs et artistes-interprètes : une appréciation casuistique
Deux arrêts récents sont venus apprécier le statut du présentateur d’une émission audiovisuelle au regard du droit d’auteur.
Dans un premier arrêt du 15 octobre 2024, la Cour d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement ayant reconnu la qualité d’auteur au présentateur d’une émission télévisée, en l’occurrence « Suivez le guide ».
Dans cette affaire, l’animateur de l’émission télévisée contestait la qualification de simple animateur de son contrat de travail et revendiquait la qualité d’auteur de l’émission à laquelle il considérait avoir apporté son empreinte créative. Cette position est accueillie par le Tribunal judiciaire de Bordeaux en janvier 2022. La société TV7 interjette appel et voit la décision de première instance confirmée.
L’arrêt confirme en effet le raisonnement des juges du fond ayant retenu la qualité d’œuvre de l’esprit des émissions documentaires animées par un présentateur. Sous le visa des articles L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, la Cour retient que le présentateur a démontré qu’il avait exercé un travail de création significatif, incluant la documentation, la rédaction de scénarios et la réalisation technique, conférant une originalité propre aux émissions. Les témoignages et pièces versés au dossier corroborent ces éléments.
A l’inverse, par un jugement du 20 septembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté les prétentions du présentateur de l’émission de télévision « Village de France » diffusée sur Arte qui tentait de faire reconnaître ses droits voisins d’artiste-interprète et la protection du format de son émission comme œuvre.
Dans cette seconde affaire, le tribunal a considéré que les caractéristiques du format d’émission invoquées par le présentateur relevaient davantage de concepts généraux que d’une forme d’expression concrète et originale.
Pour écarter ensuite les droits voisins invoqués, le Tribunal a précisé qu’un présentateur pouvait être qualifié d’artiste-interprète uniquement dans la mesure où il interprétait une œuvre littéraire ou artistique préexistante ou créée simultanément, ce qui n’a pas été retenu en l’espèce.
CA Bordeaux, 15 octobre 2024, n°22/0095 ; TJ Paris, 20 septembre 2024, n°22/08144
Un point sur l’interprétation des contrats d’auteur de musique :
L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 18 Septembre 2024, a tranché le litige opposant le rappeur SCH, auteur-compositeur et artiste-interprète, à la société d’édition musicale et de production phonographique Braabus Inc. au sujet de plusieurs contrats dont deux contrats d’édition musicale, et un pacte de préférence éditorial.
Saisie par l’artiste SCH d’un appel du jugement du Tribunal judiciaire de Marseille qui a rejeté les demandes de résiliation de ces contrats, la Cour d’Aix-en-Provence a statué comme suit :
Sur la nullité alléguée des contrats de cession de droits et d’édition et du pacte de préférence éditoriale
SCH invoquait le non-respect de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui exige que les contrats de cession de droits d’auteur délimitent clairement les droits cédés en termes d’étendue, de destination, de durée et de lieu d’exploitation, et faisait valoir que certaines clauses de ces contrats étaient imprécises.
La Cour rappelle de manière liminaire que lesdites dispositions ne sont pas édictées à peine de nullité. Elle reconnaît ensuite que les clauses manquaient en l’espèce de précision, mais elle considère que ces irrégularités n’entachent pas la validité des contrats, dès lors que les parties avaient manifesté leur volonté claire de collaborer et que l’interprétation des accords permettait de déterminer les droits effectivement cédés.
La Cour a ensuite examiné l’argument selon lequel la présence d’une clause de cession des droits d’adaptation audiovisuelle dans les contrats d’édition violerait l’article L. 131-3, alinéa 3 du CPI, qui exige que cette cession soit constatée par un contrat distinct.
La Cour juge que cette obligation légale concerne uniquement l’établissement de la preuve et non la validité du contrat. Par conséquent, même si cette clause est irrégulière, elle ne constitue pas un élément essentiel du contrat et ne saurait entraîner la nullité des contrats d’édition.
Sur la nullité alléguée du pacte de préférence éditoriale pour absence de contrepartie financière
L’auteur invoquait ici son caractère déséquilibré, au motif qu’il ne prévoyait aucune contrepartie financière explicite. La Cour a examiné cette question à la lumière de l’article 1169 du Code civil, qui prévoit que le contrat à titre onéreux est nul lorsque la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. Elle conclut que, bien qu’aucune somme d’argent spécifique n’ait été prévue en contrepartie de l’engagement de l’auteur pour une durée de 5 ans, la relation contractuelle globale incluait une forme de contrepartie implicite, notamment les obligations générales de Braabus Inc. relatives en particulier à l’obligation d’exploitation permanente et suivie des œuvres.
Sur la demande de résiliation des contrats d’édition pour manquement à l’obligation de reddition des comptes et d’exploitation permanente et suivie
La Cour a bien relevé que Braabus Inc. n’avait pas fourni de redditions de comptes dans les délais requis, mais a jugé que ce retard ne constituait pas un manquement suffisamment grave pour justifier une résiliation.
Concernant l’exploitation continue, l’artiste reprochait à Braabus Inc. de ne pas avoir assuré une reproduction graphique de ses œuvres et de ne pas avoir généré de revenus significatifs pour certaines années. La Cour estime ici que l’obligation de reproduction graphique, bien que prévue contractuellement, est devenue accessoire dans le contexte moderne de l’industrie musicale et ne peut être considérée comme un manquement substantiel. Ainsi, les demandes de résiliation ont-elles été rejetées.
Plus généralement, la Cour confirme le jugement qui avait souligné que la dégradation des relations entre les parties, dès qu’elle ne se traduit pas par une inexécution contractuelle, ne peut justifier une résiliation des contrats, qui doivent donc recevoir application. Ainsi, en confirmant la validité des contrats malgré certaines irrégularités formelles et en rejetant les demandes de résiliation de l’auteur, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence privilégie une approche pragmatique, centrée sur la volonté des parties et l’exécution effective des obligations essentielles.
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 18 septembre 2024, n°20/03143
Déchéance partielle de la marque « THE OLYMPICS » du CIO pour défaut d’usage sérieux
La société Lithuanienne Olympic Casino Group a demandé à l’Office Européen de prononcer la déchéance de la marque européenne THE OLYMPICS du CIO, enregistrée depuis 2002, pour défaut d’usage sérieux de la marque pour l’intégralité des produits et services pour lesquels elle est enregistrée.
Appliquant strictement les règles de preuves d’usage, le 25 novembre 2024, l’EUIPO, statuant en première instance, a partiellement annulé la marque THE OLYMPICS pour défaut d’usage.
Cette décision a été rendue sur le fondement de l’article 58(1)(a) du Règlement (UE) 2017/1001, qui, pour rappel, impose une utilisation sérieuse et effective des marques dans l’Union européenne pour les produits et services revendiqués, sur une période continue de cinq ans, sous peine pour le titulaire de se voir déchu de ses droits. L’usage rapporté par le titulaire de la marque doit être réel, commercial, et destiné à identifier l’origine des produits ou services, ce qui écarte tout usage symbolique ou défensif.
En l’espèce, l’EUIPO a retenu que le CIO rapportait un usage de la marque pour les services culturels et sportifs en classe 41.
A l’inverse, pour les autres classes de produits et services pour lesquels la marque était enregistrée, l’EUIPO a jugé les preuves d’exploitation rapportées par le CIO insuffisantes pour établir un usage sérieux de la marque.
Premièrement, l’EUIPO a considéré que certaines preuves d’usage rapportées étaient des documents internes au CIO à apprécier en conséquence avec précaution ou des pages Wikipedia dont le caractère probant n’était pas certain. Ensuite, l’Office a considéré que de nombreuses preuves d’usage ne montraient pas un usage à titre de marque, mais un usage en son sens commun. En outre, pour certaines preuves d’usage rapportées, il n’apparaissait pas que ces dernières démontraient un usage de la marque au sein du territoire européen. Enfin, l’EUIPO a considéré que la présence de la marque sur un site de vente en ligne ne montrait pas que les produits étaient effectivement vendus et achetés par des consommateurs.
Surtout, il est à noter que l’EUIPO a jugé que l’usage de la marque THE OLYMPICS par des sponsors ou partenaires ne peut pas être considéré comme un usage sérieux de la marque en ce que les produits en question du sponsors ou partenaires seront clairement davantage perçus par le consommateur comme des produits du sponsors et non pas du Comité Olympique.
Cette décision montre l’exigence de l’Office Européen sur les preuves d’usage et les limites de la stratégie d’un dépôt d’une marque sur l’ensembles des classes de produits et services.
Un appel de cette décision sera probablement déposé par le Comité Olympique.
EUIPO, 25 novembre 2024, THE OLYMPICS
Marques LENNON contre LEMOON : la différence conceptuelle écarte le risque de confusion
Dans son arrêt du 19 septembre 2024, le Tribunal de l’Union européenne fait application du « principe de neutralisation » selon lequel une différence conceptuelle marquée entre deux signes peut suffire à exclure tout risque de confusion, même lorsque ces signes présentent par ailleurs des similitudes phonétiques ou visuelles.
L’affaire oppose la marque antérieure LENNON, enregistrée pour des boissons alcoolisées, à une demande de marque LEMOON pour des produits similaires. Après une opposition partiellement accueillie, la chambre de recours de l’EUIPO avait conclu que les différences conceptuelles entre les signes neutralisaient les similitudes visuelles et phonétiques relevées. Le Tribunal de l’Union européenne a été saisi pour réexaminer l’affaire.
Le Tribunal retient d’abord qu’en l’espèce, le public pertinent était celui des consommateurs moyens espagnols, dotés d’un niveau d’attention moyen lors de l’achat de boissons alcoolisées, avant de procéder à la comparaison classique des signes en cause. Malgré le constat de similarités visuelles et phonétiques, le Tribunal confirme l’analyse retenue par la chambre de recours : la différence conceptuelle neutralise les similitudes phonétiques et visuelles des signes en cause.
En effet, conceptuellement, LEMOON évoque des associations liées aux mots anglais « citron » et « lune », tandis que LENNON renvoie à la célèbre personnalité John Lennon. Cette association conceptuelle, qualifiée de claire et immédiatement perceptible, crée une rupture dans l’esprit du public pertinent et réduit significativement le risque que le public confonde les marques, quand bien même les marques se ressemblent par ailleurs.
Le Tribunal en conclut que le public pertinent, confronté à ces deux marques, ne risque pas de les associer ou de croire qu’elles proviennent d’une même entreprise.
Cet arrêt réitère ainsi la prééminence des différences conceptuelles dans l’analyse du risque de confusion, tout en rappelant les limites des arguments phonétiques et visuels lorsqu’ils ne sont pas corroborés par une analyse plus large.
Tribunal de l’Union Européenne, 19 septembre 2024, T-1099/23
Inventions de salariés : de la frontière entre la compétence du Tribunal Judiciaire et celle du Conseil de Prud’hommes
La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 octobre 2024, a confirmé l’arrêt d’appel du 1er juin 2022 ayant écarté la compétence du Conseil de Prud’hommes pour statuer sur les demandes de rémunération supplémentaire formées par une salariée en contrepartie de diverses inventions.
Licenciée de son entreprise, une salariée l’a assignée devant le Conseil de Prud’hommes en annulation de son licenciement, paiement d’une rémunération supplémentaire au titre de diverses inventions de mission, et de dommages-intérêts résultant d’une atteinte à son droit à l’image. Toutes ses demandes ayant été rejetées en appel, la salariée a formé un pourvoi en cassation.
Elle reprochait notamment à la Cour d’appel d’avoir rejeté ses demandes relatives au paiement d’une rémunération supplémentaire au motif que celles-ci relevaient de la compétence exclusive des Tribunaux Judiciaires en matière de brevets telle que résultant d’une lecture combinée des article L. 615-17 et L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 615-17 pose en effet la compétence exclusive du Tribunal Judiciaire pour toutes les « actions civiles et les demandes relatives aux brevets d’invention, y compris dans les cas prévus à l’article L. 611-7 ». L’article L. 611-7 prévoit quant à lui le régime applicable aux inventions de salariés, et précise que « si l’employeur n’est pas soumis à une convention collective de branche, tout litige relatif à la rémunération supplémentaire est soumis à la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou au Tribunal Judiciaire ».
Pour confirmer ce rejet, la Cour de cassation a tenu compte de la convention collective applicable, laquelle subordonnait le paiement d’une rémunération supplémentaire du salarié « à la prise de brevet et à l’exploitation de ce brevet ». Elle a ensuite examiné les arguments de fond des parties, pour en déduire que l’action de la salariée sur ce point relevait bien de la compétence du Tribunal Judiciaire.
En l’occurrence, la question d’une éventuelle rémunération supplémentaire supposait notamment de statuer sur la brevetabilité des inventions invoquées par la salariée, et impliquait donc, pour reprendre l’expression employée par la Cour de cassation dans d’autres arrêts, d’effectuer « un examen de l’existence ou de la méconnaissance d’un droit attaché à un brevet ». Cet arrêt peut ainsi être rapproché de trois arrêts rendus les 18 février 1988 (Cass. Soc., n°85-40.213) 16 février 2016 (Cass. Com., n°14-24.295) et 3 mai 2018 (Cass. Soc., n°16-25.067), dans lesquels la Cour avait conditionné la compétence exclusive du Tribunal Judiciaire à la nécessité d’appliquer le droit des brevets.
Autrement dit, la Cour de cassation rappelle que la compétence du Conseil de Prud’hommes en matière d’inventions de salariés se limite aux cas dans lesquels le litige porte uniquement sur l’interprétation d’une convention collective, et n’implique pas, en tant que tel, de mettre en œuvre les dispositions du droit des brevets (par exemple pour apprécier la brevetabilité de l’invention en cause).
Cass. Soc., 23 octobre 2024, n°22-19.700
Calendrier de mise en œuvre du « Paquet Dessins et Modèles » suite à sa publication au Journal Officiel de l’Union Européenne
Après son adoption par le Conseil le 10 octobre 2024, le « Paquet Dessins et Modèles » a été publié au Journal Officiel de l’Union Européenne le 18 novembre dernier. Il est composé de la Directive 2024/2823 sur la protection juridique des dessins ou modèles, et du Règlement 2024/2822, modifiant le Règlement 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires et abrogeant le Règlement 2246/2002.
L’objectif du « Paquet Dessins et Modèles » est de moderniser le droit des dessins et modèles à l’échelle de l’Union Européenne et d’harmoniser les législations nationales des Etats membres sur ce sujet, à l’instar de ce qui avait été mis en place en matière de droit des marques avec le « Paquet Marques ».
Le nouveau Règlement sera directement applicable à compter du 1er mai 2025, à l’exception de certaines dispositions listées en son article 3, qui ne seront applicables qu’à partir du 1er juillet 2026. La date limite de transposition de la Directive est quant à elle fixée au 9 décembre 2027.
A suivre…
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