CELINE c/ MANGO : deux millions d’euros de dommages et intérêts sur le terrain du parasitisme pour la reprise de produits phares de CELINE
Le litige opposait la société CELINE aux sociétés MANGO et PUNTO FA, à qui il était reproché la reprise de plusieurs articles à succès de plusieurs collections de la maison de luxe.
En première instance devant le Tribunal de Commerce de Paris le 20 septembre 2021, la société CELINE avait obtenu la cessation de la commercialisation des modèles litigieux et une condamnation à la somme de 1.500.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
La Cour d’appel de Paris par son arrêt du 10 novembre 2023 a confirmé ledit jugement en considérant que les pièces CELINE en cause constituaient des « produits phares de la société CELINE bénéficiant d’une notoriété certaine et caractérisant des valeurs économiques individualisées. »
Il est retenu que la reprise par MANGO de plusieurs articles d’une même collection caractérise un effet de gamme.
Il est par ailleurs relevé que MANGO a commercialisé les produits litigieux concomitamment à CELINE, dans un temps proche des défilés ayant révélé les pièces au public. Les juges ont à cet égard retenu que les reprises répétées d’articles de la collection CELINE par MANGO ne pouvaient être fortuites. Il en résultait que MANGO avait indûment profité des investissements et de la notoriété des produits CELINE.
La Cour d’appel sanctionne les agissements de MANGO qualifiés de parasitaires et porte la condamnation de MANGO à 2.000 000 d’euros dommages-intérêts en réparation du préjudice économique et moral subi par CELINE.
CA Paris, 10 nov. 2023, n°21/19126
JUB : première décision rendue par la Division Centrale de Paris et définition de la notion de « mêmes parties »
La Division Centrale de la JUB basée à Paris a rendu, le 13 novembre 2023, sa première décision, dans un litige opposant la société Edwards Lifesciences Corporation à la société Meril Italy. Edwards Lifesciences avait agi en contrefaçon à l’encontre des sociétés Meril India (société mère de Meril Italy) et Meril Germany devant la Division Locale de Munich. Par la suite, Meril Italy a initié une action en révocation du brevet d’Edwards Lifesciences, cette fois devant la Division Centrale. C’est dans le cadre de cette seconde action qu’Edwards Lifesciences a soulevé l’incompétence de la Division Centrale pour statuer sur la validité de son brevet.
Elle invoquait l’article 33(4) de l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet selon lequel, bien que l’action en révocation de brevet doive être portée devant la Division Centrale, si une action en contrefaçon « a été engagée entre les mêmes parties au sujet du même brevet devant une division locale ou régionale », l’action en révocation y relative ne peut être exercée que devant ladite division locale ou régionale.
La Division Centrale a donc dû interpréter la notion de « mêmes parties ». Elle a relevé, au regard du droit italien qui lui est applicable, que Meril Italy a une personnalité juridique distincte de celle de Meril India, et qu’aucun élément ne permet de considérer qu’elle n’est qu’un « homme de paille ». Elle a donc jugé que l’action en révocation du brevet d’Edwards Lifesciences ne visait pas les mêmes parties que l’action en contrefaçon pendante devant la Division Locale de Munich.
Elle a en outre écarté l’argument d’Edwards Lifesciences lié à un risque de décisions contradictoires des deux divisions saisies au sujet d’un même brevet en raison de l’existence, dans les règles applicables à la JUB, de différentes dispositions permettant, discrétionnairement pour les Juges, le renvoi de toute l’affaire devant la Division Centrale ou un sursis à statuer de la Division Locale dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Cette décision risque de favoriser la multiplication des procédures en lien avec un même brevet, en présence de groupes de sociétés répartis sur le territoire européen, pour des raisons de stratégies judiciaires. Le pouvoir discrétionnaire des divisions de la JUB de renvoyer l’affaire ou surseoir à statuer devrait donner lieu à une jurisprudence intéressante.
JUB, Division Centrale, Paris, 1ère instance, 13 novembre 2023
Irrecevabilité de l’action en référé fondée sur une simple demande de brevet
La Cour d’appel de Paris est venue réaffirmer, dans son arrêt du 22 novembre 2023, l’irrecevabilité de l’action en référé fondée sur une demande de brevet, et non sur un brevet délivré, confirmant la jurisprudence rendue à cet égard dans une autre affaire opposant les sociétés BIOGARAN et NOVARTIS par un arrêt du 22 mars 2023 (n°22/11165). Ces deux arrêts prennent le contrepied d’une ordonnance du Tribunal Judiciaire du 3 juin 2022, très critiquée, laquelle avait jugé recevable l’action en référé du titulaire d’une demande de brevet non-encore délivré (n°22/52718).
Le litige ayant donné lieu à l’arrêt du 22 novembre 2023 opposait les sociétés SHARK ROBOTICS et ELWEDYS à la société ANGATEC, toutes spécialisées dans la conception et la vente de robots d’assistance. L’une des demanderesses, la société ELWEDYS, était à cet égard titulaire de plusieurs demandes de brevets non encore délivrés, dont elle soulevait la contrefaçon vraisemblable.
Comme en première instance, la Cour d’appel, faisant une lecture combinée des articles L. 615-3, L. 613-1 et L. 615-4 du Code de la propriété intellectuelle, a jugé que si le titulaire d’une demande de brevet peut agir en contrefaçon au fond (à charge pour le juge de surseoir à statuer jusqu’à sa délivrance), la loi française ne prévoit pas la possibilité pour ce titulaire d’agir en référé. Elle justifie notamment cette position par la référence, dans l’article L. 615-3 sur le référé, à la notion de « titre », laquelle correspond, dans le Code, à un brevet délivré.
La jurisprudence en revient donc à sa solution traditionnelle, selon laquelle l’absence de titre enregistré exclut le référé.
CA Paris, 22 novembre 2023, n°22/19275
Le délai de prescription de l’action civile en contrefaçon court à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation a rappelé que la prescription quinquennale en matière de contrefaçon de droit d’auteur court à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, un artiste sculpteur et peintre est contacté en 1985 par le directeur d’un musée pour la création d’une œuvre intitulée « la Fontaine aux chevaux ». L’artiste constate ultérieurement que des reproductions de son œuvre ont été réalisées sans son autorisation. Il assigne les contrefacteurs et la Cour d’appel de Douai dans un arrêt du 17 décembre 2008 retient le caractère contrefaisant d’une sculpture.
En 2020, l’artiste, ayant constaté que ladite sculpture était toujours exposée, assigne en référé le 5 mars 2021 la société détentrice de cette dernière devant le Tribunal judiciaire de Lille afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits et afin d’obtenir réparation de son préjudice.
La société défenderesse soulève à l’instance une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en contrefaçon sur le fondement de l’article 2224 du Code civil disposant que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
A contrario, l’artiste soutient que la contrefaçon résultait ici d’un délit continu, de telle sorte que le point de départ devait être fixé à la date de cessation des faits litigieux, et non à la date de leur découverte.
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que le délai de prescription avait en l’espèce commencé à courir le 17 décembre 2008, date à laquelle la Cour d’appel de Douai avait retenu le caractère contrefaisant de l’œuvre exposée. L’action en référé intentée le 5 mars 2021 était donc prescrite depuis le 17 décembre 2013, même si la contrefaçon, par la persistance de l’exposition de la reproduction non autorisée de l’œuvre s’était poursuivie dans la durée.
Cass. Civ. 1, 15 novembre 2023, n°22-23.266
Saisie-contrefaçon : la loyauté au stade de la requête
Dans son arrêt du 6 décembre 2023, la Cour de cassation rappelle le principe essentiel incombant au requérant d’une demande de saisie-contrefaçon, celui du respect de la loyauté.
Dans cette affaire, PUMA reprochait à CARREFOUR la commercialisation de chaussures de tennis reproduisant un élément figuratif sur la partie latérale du modèle, lequel avait été déposé à titre de marque par CARREFOUR.
La société CARREFOUR avait été assignée à la suite d’une saisie-contrefaçon diligentée dans ses magasins en contrefaçon de marque par les sociétés PUMA.
CARREFOUR sollicitait la nullité des opérations de saisie-contrefaçon jugeant que les sociétés PUMA n’avaient pas rapporté l’ensemble des éléments permettant au juge des requêtes « d’appréhender complètement les enjeux du procès (…) ni de porter une appréciation éclairée sur l’intérêt légitime des requérants à recourir à une telle mesure ».
Dans sa requête, PUMA n’a pas précisé que la société CARREFOUR était titulaire de marques françaises et européennes sur le signe figuratif incriminé ni avoir intenté des procédures d’opposition à l’encontre de ces demandes d’enregistrement devant les instances françaises et européennes, qui ont exclu toute imitation des marques PUMA et écarté le risque de confusion.
Sur le fondement de l’article L. 716-7, devenu L. 716-4-7, alinéas 1 et 2, du Code de la propriété intellectuelle lu à la lumière de l’article 3 de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, la Cour de cassation rappelle les exigences européennes de proportionnalité et loyauté des mesures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle et apprécier la validité de la requête.
Il incombe donc au requérant de faire preuve de loyauté au stade de l’exposé des faits de la requête et de présenter au juge l’ensemble des faits objectifs lui permettant d’exercer pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause ; quand bien même, en l’occurrence, le juge français n’est pas lié par les décisions administratives des Instituts.
Par conséquent, le respect de la loyauté faisant défaut, la Cour de cassation confirme la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon.
Cass. Com., 6 décembre 2023, n°22-11.071
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