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Gaëlle Bloret-Pucci, Avocate associée décrypte avec son équipe, les dernières actualités en matière de propriété intellectuelle :

Digital Service Act : Projet de Règlement européen sur les services numériques

Le 15 décembre 2020, l’Union européenne a initié deux projets : le Digital Service Act (le règlement sur les services numériques) (ci-après « DSA ») et le Digital Market Act (règlement sur les marchés numériques) (ci-après « DMA »). Si le DMA a fait l’objet d’un accord entre le Conseil et le Parlement, le DSA, quant à lui, est en phase final de négociation du trilogue (Commission Européenne, le Conseil européen et le Parlement Européen).

Le projet de règlement s’inscrit dans la même philosophie que la Directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000 (Directive 2000/31/CE), dont il reprend les principes, tout en imposant de nouveaux outils de nature à assurer l’efficacité des règles établies.

La grande nouveauté est la création d’un Coordinateur des services numériques (« CSN ») au sein de chaque Etat, dont le rôle sera de vérifier la bonne application et l’exécution du DSA au sein de cet Etat. En France, l’organe pressenti est l’ARCOM (Autorité publique française de la régulation de la communication audiovisuelle et du numérique) né de la fusion du CSA et de l’Hadopi.

Le projet de règlement, à l’instar de la Directive sur le commerce électronique, prévoit une exception de responsabilité des fournisseurs de « services intermédiaires » et ne leur impose pas d’obligation générale de surveillance des contenus. En revanche, le DSA met en place une nouvelle obligation à l’égard de ces fournisseurs pour pouvoir bénéficier de ce régime d’exemption de responsabilité : ils devront en « bon samaritains » mener des enquêtes de leur propre chef, afin de détecter, repérer et désactiver des contenus illicites. Ils ne seront pas considérés comme ayant connaissance du contenu des informations s’ils entreprennent des enquêtes volontaires.

Le DSA impose, en parallèle, aux fournisseurs de services intermédiaires de proposer un outil permettant aux utilisateurs de signaler les produits et contenus illicites. Ce signalement fait naitre une présomption de connaissance du fait illicite par les fournisseurs. Ces derniers devront procéder à leurs retraits ou du moins en désactiver rapidement l’accès afin que leur responsabilité ne soit pas engagée.

D’autres obligations peuvent être énumérées notamment comme celle de fournir des informations sur injonction des autorités judiciaires ou administratives nationales ou encore d’énoncer dans leurs conditions générales les restrictions qu’ils sont susceptibles d’imposer à l’utilisation de leurs services.

Concernant les sanctions en cas de non-respect du DSA, le règlement laisse le soin à chaque Etat membre de déterminer les sanctions applicables, tout en limitant à 6% du revenu ou du chiffre d’affaires annuel de la société.

A la différence de la Directive sur le commerce électronique, dont la transposition dans chaque Etat membre avait conduit à la mise en place de régimes différents selon les Etats, le DSA, en tant que Règlement sera directement applicable dans l’ensemble de l’Union, garantissant ainsi l’effectivité des dispositifs mis en place.

Loi de modernisation de la régulation du marché des ventes aux enchères

Après deux ans de navette parlementaire, la loi de modernisation de la régulation des ventes aux enchères est enfin entrée en vigueur le 1er mars.

Entre autres, la loi réforme la composition et l’étendue des missions du Conseil des Ventes Volontaire qui devient le Conseil des Maisons de Vente. Il sera constitué d’une majorité de commissaires-priseurs élus par leurs pairs : 6 membres sur 11 alors que jusqu’à présent, tous étaient nommés par le Gouvernement et que dans la pratique, on comptait plus de magistrats que de professionnels. Désormais doté d’un organe disciplinaire, l’autorité de régulation peut sanctionner et concilier les différends d’ordre professionnel.

Mais l’apport majeur de la loi réside sans doute dans l’ouverture des ventes aux enchères volontaires à des meubles incorporels, ventes jusqu’alors réservées aux meubles corporels. Cette ouverture pose dès lors la question de la vente d’œuvres numériques, dont les maisons de vente étaient privées jusqu’à présent.

A cet égard, le NFT (ou jeton) est bien un meuble incorporel et peut donc désormais faire l’objet d’une vente aux enchères. Le NFT enregistré dans une « blockchain » est une sorte de certificat de propriété sur un bien numérisé, qui lui a une valeur intrinsèque, par exemple celle d’œuvre d’art.
Première à se lancer, la maison de vente aux enchères Sotheby’s a annoncé la création d’un espace digital réservé aux collectionneurs de NFT et une vente bi-annuelle de ces objets numériques.

Brevet : quand l’action en contrefaçon et la modification du brevet en cours de litige dégénèrent en abus du droit d’agir en justice

La Cour de cassation est venue confirmer la décision d’une Cour d’appel ayant condamné les sociétés SAN-EI, cotitulaires d’un brevet, pour abus du droit d’agir en justice par volonté de perturber déloyalement leur concurrent, la société NEXIRA.

Ce litige a pour origine une lettre de mise en demeure adressée par les sociétés SAN-EI à NEXIRA, lui reprochant de porter atteinte à leur brevet. Des pourparlers ont suivi, au cours desquels NEXIRA a indiqué qu’en cas d’action en contrefaçon à son encontre, elle poursuivrait la nullité de ce brevet, exposant même ses arguments sur la nullité, à savoir une extension du brevet au-delà de la demande telle que déposée. Le brevet avait en effet fait l’objet d’une modification de sa revendication 1.

Par la suite, NEXIRA a effectivement assigné les sociétés SAN-EI en nullité de leur brevet. En réaction, les sociétés SAN-EI ont d’abord fait réaliser des saisies-contrefaçon dans les locaux de NEXIRA, puis l’ont assignée en contrefaçon de leur brevet. A la suite du jugement ayant prononcé la nullité dudit brevet, NEXIRA a finalement assigné les sociétés SAN-EI devant le Tribunal de commerce, pour les voir condamnées à lui verser des dommages-intérêts pour procédure abusive.

La Cour de cassation, dans cet arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-16.425), a rejeté le pourvoi et confirmé l’analyse de la Cour d’appel qui, après avoir examiné le contexte de ce litige, a (i) constaté que la modification de la revendication 1 par les sociétés SAN-EI avait été faite dans un but contestable, et (ii) relevé que ces dernières,

professionnelles de leur secteur, ne pouvaient ignorer la fragilité de leur brevet modifié. Partant, la Cour de cassation a jugé que la Cour d’appel avait, à bon droit, considéré que les saisies-contrefaçon et l’action en contrefaçon, initiées après l’action en annulation du brevet lancée par NEXIRA, « ne s’expliquaient que par la volonté de persister à perturber déloyalement un concurrent », caractérisant un abus du droit d’agir en justice.

La Cour vient donc sanctionner le comportement procédural des sociétés SAN-EI. Si les modifications de brevet en cours de litige, notamment dans le cadre d’une requête en limitation, restent possibles à tout moment, encore faut-il qu’elles ne dégénèrent pas en abus.

Droits d’auteur : reconnaissance de la cession implicite des droits d’auteur sur un bracelet créé par un salarié en 1938

Dans un arrêt du 11 janvier 2022 (n°20/15934), la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement ayant notamment reconnu l’intérêt à agir de la société HERMES SELLIER en contrefaçon de droits d’auteur sur la gamme de bijoux emblématique « Chaîne d’ancre », la cession de tels droits ayant été reconnue valide.

HERMES SELLIER avait agi en contrefaçon de droits d’auteur et de modèle, et en concurrence déloyale et parasitaire, contre la société CREATIONS GUIOT DE BOURG, grossiste en bijoux commercialisant des produits qu’elle considérait similaires aux siens.

En défense, CREATIONS GUIOT DE BOURG a remis en cause la qualité de titulaire des droits d’auteur de HERMES SELLIER, au motif, notamment, que la cession initiale des droits du créateur n’avait pas été constatée par écrit.

La Cour, comme le Tribunal, a constaté que les bijoux HERMES en cause avaient été créés en 1938 par un salarié devenu par la suite Directeur général adjoint puis Président de la société, et que ce-dernier avait implicitement cédé ses droits, la loi applicable à l’époque n’exigeant pas qu’une telle cession soit constatée par écrit. La Cour a également relevé l’absence de toute contestation de la part du créateur, s’agissant de l’exploitation de ces bijoux par la société. Enfin, elle a tenu compte des pièces versées par HERMES SELLIER, justifiant les transferts successifs de ces droits à différentes entités, validant la chaîne de droit invoquée.

La contrefaçon de droits d’auteur et de modèles, de même que la concurrence déloyale et parasitaire, ont été confirmées, et encore le montant des condamnations mises à la charge de CREATIONS GUIOT DE BOURG.

Alors que la jurisprudence actuelle se montre stricte quant à l’exigence d’un écrit constatant la cession de droits d’auteur sur une création faite par un salarié à son employeur, cette décision rappelle qu’un tel écrit, qui en tout état de cause « n’est qu’une règle de preuve et non de forme », n’est applicable qu’aux créations postérieures à la loi de 1957.

Droit de propriété intellectuelle : la cession à titre gratuit d’un droit de propriété intellectuelle est-elle une donation ?

Par un jugement du 8 février 2022 (n°19/14142), le Tribunal Judiciaire de Paris a jugé qu’un acte de cession à titre gratuit de marques et de dessins et modèles constitue une donation qui doit être passée devant un notaire sous peine de nullité.

En l’espèce, deux personnes physiques ont conjointement déposé une marque, ainsi que des dessins et modèles. L’un des co-titulaire a cédé ces droits de propriété intellectuelle, sans aucune contrepartie financière, à une tierce personne morale, et ce sans l’autorisation du second co-titulaire. Dans ce contexte, le co-titulaire a assigné son ancien associé et la société bénéficiaire de la cession en nullité du contrat de cession.

Afin d’annuler la cession de la marque et des dessins et modèles, le Tribunal judiciaire de Paris se fonde sur les dispositions du Code civil relatives aux donations, et notamment l’article 931 qui dispose que « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire dans la forme ordinaire des contrats » sous peine de nullité, sauf exceptions admises en jurisprudence tel que le don manuel.

Le Tribunal juge que le contrat de cession, en transférant la propriété de la marque et des dessins et modèles, à titre gratuit, s’analyse en « donation non dissimulée et portant sur des droits incorporels» devant donc « être passé devant notaire » et annule ledit contrat de cession.

Par ce jugement, dont l’avenir révèlera la portée, les juges appliquent au droit de la propriété intellectuelle le formalisme strict des donations entre vifs, bien que dans la pratique celui-ci ne soit pas toujours adapté (cession intragroupe ou entre un associé titulaire d’une marque et une société).

Une vigilance particulière devra par conséquent être accordée à la fixation d’un prix de cession.

Droit des marques : le caractère intrinsèquement distinctif de la marque figurative de Citroën confirmée par l’EUIPO dans une décision du 1er avril 2022

Dans le cadre du litige opposant, les deux constructeurs automobiles Polestar et Citroën, une action en nullité a été engagée par la société Polestar devant l’EUIPO, à l’encontre de la marque figurative européenne de Citroën, pour défaut de distinctivité, et ce pour tous les produits et services visés à l’enregistrement.

L’Office européen a considéré que le signe figuratif n’est pas qu’un « simple design » : sa forme géométrique n’est pas basique et par conséquent il est susceptible d’être perçu par le public comme une indication d’origine commerciale et non pas comme un élément décoratif typique ou imposé par la fonction technique des produits.

L’Office n’a pas statué sur la démonstration du caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée soulevé à titre subsidiaire par Citroën, dès lors qu’il a jugé la marque figurative européenne comme intrinsèquement distinctive.

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