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Le Conseil d’État a rendu, le 22 avril 2024, un avis sur le projet de loi de simplification comportant plusieurs axes :

(i) Faciliter l’essor de projets industriels et d’infrastructures

Le projet de loi ouvre la possibilité, pour certains projets d’infrastructures concourant à la transition énergétique, de déroger aux obligations d’allotissement et de paiement direct fixées par les articles L.2113-10 et L.2193-11 du Code de la commande publique.

Le Conseil d’État estime nécessaire d’unifier et de préciser le champ d’application de cette mesure en la recentrant, d’une part, sur les projets d’installation de production d’énergie renouvelable en mer et les études associées à la réalisation de telles installations et, d’autre part, sur les projets de création ou de modification d’ouvrages du réseau public de transport et de postes de transformation entre les réseaux publics de transport et de distribution. Il renvoie à des décrets le soin de fixer les seuils en puissance électrique et en montant auxquels sont respectivement soumises les deux dérogations.

(i) Faciliter l’accès à la commande publique en ligne

Le projet de loi impose aux personnes morales de droit public, à l’exception des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale, d’utiliser, lorsqu’ils passent des marchés publics ou des concessions, une plateforme de dématérialisation mise gratuitement à leur disposition par l’État.

Les acheteurs ne pourront donc plus recourir au prestataire de leur choix. De même, cela interdit de facto le recours aux prestataires proposant actuellement des profils d’acheteur à titre onéreux.

Le Conseil d’État considère que cette limitation n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, qui est de faciliter l’accès des candidats et soumissionnaires aux documents d’appels d’offres, ainsi que l’envoi en retour de leurs propres documents et d’assurer ainsi plus efficacement la mise en œuvre des principes fondamentaux de la commande publique que sont la liberté d’accès, l’égalité de traitement et la transparence.

Cette obligation sera progressivement appliquée, jusqu’à la fin de l’année 2028, aux différentes catégories d’acheteurs et de concessionnaires.

(ii) Unifier le contentieux de la commande publique devant le juge administratif

Le projet de loi étend la qualification de contrats administratifs aux contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices de droit privé, dont les contrats étaient jusqu’à présent qualifiés de contrats de droit privé et relevaient ainsi de la compétence du juge judiciaire.

Il s’agit ainsi de généraliser la solution qui a été retenue en 2019 pour la société SNCF Réseau, en vertu de l’article L.2111-9-4 du Code des transports, aux autres entreprises publiques, mais aussi aux organismes de sécurité sociale, aux sociétés d’habitation à loyer modéré, aux sociétés d’économie mixte locales, aux sociétés publiques locales et à divers autres organismes, dont les associations principalement financées sur ressources publiques.

Si le Conseil d’État semble réservé sur l’intérêt d’une telle mesure – relevant que « le partage actuel du contentieux ne conduit que très rarement à des difficultés quant à la désignation du juge compétent » -, il invite le Gouvernement à apprécier la charge de travail supplémentaire qui en résultera pour la juridiction administrative au titre de la passation et, surtout, de l’exécution des contrats, ainsi que les moyens dont elle aura en conséquence besoin.

CE, Ass., 22 avril 2024, Section des finances Section de l’intérieur Section des travaux publics Section sociale Section de l’administration N°408246, AVIS sur le projet de loi de simplification

ENERGIE / ENVIRONNEMENT

Le Conseil d’Etat valide la légalité du décret modifiant le régime contentieux applicable aux décisions relatives aux installations de production d’EnR et aux ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité

Par une décision n°470092 du 12 avril 2024, le Conseil d’Etat a rejeté le recours formé à l’encontre du décret n°2022-1379 du 29 octobre 2022 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes aux installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables (hors énergie éolienne) et aux ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité qui a créé l’article R.311-6 du Code de justice administrative. Cet article prévoit que les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d’appel statuent dans un délai de 10 mois, que le délai pour statuer après mesure de régularisation est de 6 mois à compter de la réception de la mesure de régulation ordonnée. Le délai de recours contentieux contre ces décisions devant le Tribunal administratif est de 2 mois et il n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours administratif.

CE, 12 avril 2024, n°470092

Eolien : irrecevabilité d’une requête contre une décision rejetant une demande d’enjoindre à l’exploitant de déposer une demande de DEP

Par un arrêt n°22NT00837 du 29 mars 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté pour irrecevabilité une requête dirigée contre la décision préfectorale implicite portant refus d’ordonner à un exploitant éolien de déposer une demande de DEP aux motifs que, d’une part, l’association requérante n’avait produit la délibération de son conseil d’administration, habilitant la présidente de l’association à contester la décision litigieuse, qu’après la clôture d’instruction et, d’autre part, que les éléments versés aux débats par les autres requérants (attestations notariales de propriété, extrait KBis, etc.) ne justifiaient pas de leur intérêt à agir contre la décision contestée.

CAA Nantes, 29 mars 2024, n°22NT00837

Eolien : Autonomie de la MRAe bénéficiant de l’appui technique d’agents de la DREAL

Par un arrêt n°21BX03470 du 26 mars 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a, dans le cadre d’un litige portant sur un projet éolien, écarté le moyen tiré de l’irrégularité de l’avis de l’Autorité environnementale aux motifs que la MRAe avait, en l’occurrence, rendu son avis dans les conditions prévues par les articles R.122-21, R.122-24 à R.122-24-2 du Code de l’environnement, et qu’ainsi elle « [devait] être regardée comme intervenant de manière autonome à l’égard du préfet compétent pour autoriser le projet, sans que la circonstance qu’elle ait bénéficié de l’appui technique d’agents du service régional chargé de l’environnement placés sous l’autorité fonctionnelle de son président soit, par elle-même, de nature à affecter cette autonomie. »

En jugeant ainsi, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a fait application de la décision du Conseil d’Etat n°463619 du 5 février 2024, par laquelle il avait précisé sa jurisprudence relative à l’autonomie de l’Autorité environnementale.

CAA Bordeaux, 26 mars 2024, n° 21BX03470

Eolien : l’impact paysager doit s’apprécier depuis un point de vue représentatif du territoire

Par un arrêt n°22NT02688 du 16 avril 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes a, dans le cadre d’un litige portant sur un projet éolien, écarté le moyen tiré de l’atteinte au paysage, en particulier à un village et son église classée au titre des monuments historiques, en écartant des photomontages et vidéos-montages versés aux débats par les requérants, qui avaient été réalisés certes par un photographe professionnel mais depuis un point de vue non représentatif du territoire et ne correspondaient pas « aux exigences d’un carnet de photomontage professionnel » et en retenant les photomontages versés aux débats par la société pétitionnaire qui avaient été réalisés par un bureau d’études « conformément au guide des bonnes pratiques », depuis « l’axe le plus fréquentée », en l’espèce une route départementale traversant le village.

CAA Nantes, 16 avril 2024, n°22NT02688 ; voir aussi CAA Nantes, 16 avril 2024, n°22NT02612.

Eolien : validation de la légalité d’un arrêté de prorogation de mise en service

Par un arrêt n°22LY00086 du 4 avril 2024, la Cour administrative d’appel de Lyon a, s’agissant d’un projet éolien, confirmé la légalité d’un arrêté faisant droit à une demande de prorogation du délai de mise en service, en jugeant notamment qu’aucun changement substantiel dans les circonstances de fait et de droit ayant fondé ces autorisations n’était intervenu, malgré la réforme de l’autorisation environnementale et le fait que la société justifiait de raisons indépendantes de sa volonté ne lui permettant pas de mettre en service l’installation dans le délai initial prévu, au sens des dispositions de l’article R.515-109 du Code de l’environnement.

CAA Lyon, 4 avril 2024, n° 22LY00086

Participation des CT au capital des sociétés de production d’ENR

La Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté un déféré préfectoral dirigé contre une délibération par laquelle un Conseil municipal a décidé de souscrire au capital d’une société de production ENR et approuvé le versement d’une avance en compte-courtant d’associé. La Cour a estimé que le Conseil municipal était compétent pour décider une telle participation, alors même que la commune avait transféré sa compétence d’aménagement, de production et d’exploitation d’installations ENR à un EPCI, en considérant que l’article L.2253-1 du CGCT « n’a pas entendu imposer que seules les collectivités ayant la compétence en matière d’énergies renouvelables en vertu de l’article L.2224-32 du même Code puissent participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ».

Il est à espérer que cette décision mette fin à la position stricte de l’administration, ainsi qu’à certaines décisions juridictionnelles de première instance (TA Rennes, 25 janvier 2024, n°2300530).

CAA de NANTES, 4ème chambre, 19/04/2024, 23NT01257

Photovoltaïque : annulation d’arrêtés de refus de demande de permis de construire et d’autorisation de défrichement en l’absence du risque incendie significatif

Par un arrêt n°22BX01630 du 21 mars 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a, s’agissant d’un projet photovoltaïque au sol, annulé un arrêté de refus de demande d’autorisation de défrichement et écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L.341-5 du Code forestier (risque incendie) aux motifs que « la société pétitionnaire [avait] intégré à son projet l’ensemble des recommandations faites par le service départemental d’incendie et de secours et par l’association régionale de défense des forêts contre l’incendie, notamment la création d’une zone débroussaillée de cinquante mètres de profondeur en périphérie de l’installation, deux bandes de roulement de cinq mètres de largeur de part et d’autre de la clôture, la bande extérieure étant reliée aux voies d’accès existantes du massif forestier, trois citernes de 120 m3 qui seront aménagées sur le parc, une à proximité de l’entrée de chaque zone, des dispositifs d’isolement des éléments de production d’électricité et de protection mécanique du réseau électrique ainsi que la définition d’un plan d’organisation interne des secours » et « que l’ensemble de ces mesures [permettait] de porter le niveau d’impact résiduel du projet sur le risque incendie à un niveau faible ».

La Cour a donc enjoint au préfet de délivrer à la société l’autorisation de défrichement et le permis de construire sollicités.

CAA Bordeaux, 21 mars 2024, n° 22BX01630 (voir aussi : CAA Bordeaux, 21 mars 2024, n°22BX01591).

Photovoltaïque : annulation d’une décision implicite de rejet de demande d’autorisation de défrichement en l’absence de réponse à la demande de communication de motifs de rejet dans le délai prévu par l’article L.232-4 du Code des relations entre le public et l’administration

Par un jugement n°2305221 du 11 avril 2024, le Tribunal administratif de Bordeaux a, s’agissant d’un projet photovoltaïque au sol, annulé une décision implicite de rejet de demande d’autorisation de défrichement et enjoint au préfet de réexaminer la demande, aux motifs que le préfet n’avait pas répondu à la demande de la société pétitionnaire de communication des motifs de la décision implicite de rejet dans le délai imparti d’un mois à compter de cette demande, en méconnaissance de l’article L.232-4 du Code des relations entre le public et l’administration. Les juges ont donc considéré que la décision implicite de rejet était entachée d’un défaut de motivation.

TA Bordeaux, 11 avril 2024, n°2305221

Photovoltaïque : Décret n°2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains NAF

Le cabinet organise un webinaire le mercredi 19 juin au matin, pour analyser la réforme (invitations à venir).

CONTRATS PUBLICS

La tarification d’utilisation du réseau ferré national pour 2024 est annulée

Saisi par sept régions et Île-de-France Mobilités, en leur qualité d’autorités organisatrices de transport (AOT), le Conseil d’État a annulé les dispositions relatives à la tarification de l’usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l’horaire de service 2024.

Les requérants contestaient l’augmentation de la redevance exigée pour utiliser le réseau ferré national et faire circuler les TER.

Selon le Conseil d’État, la nouvelle tarification a été adoptée au terme d’une procédure irrégulière, au motif notamment que SNCF Réseau :

  • n’aurait pas respecté l’exigence de transparence lors de la détermination de la tarification de l’utilisation du réseau : l’information sur l’estimation du montant des coûts complets et leur évolution, ainsi que les modalités de fixation du montant des redevances, n’étaient, en l’espèce, pas suffisantes ;
  • n’aurait pas tenu compte des observations des AOT en raison du calendrier, inadéquat, retenu. Les AOT ont été consultées les 7 et 8 décembre 2022 et le document a été publié le lendemain, le 9 décembre 2022.

L’annulation est prononcée avec un effet différé au 1er octobre 2024

CE, 5 mars 2024, n°472859

Attention au risque de requalification des contrats portant sur des biens immobiliers

Le Conseil d’État est venu rappeler les critères de qualification d’un marché de travaux en considérant qu’un contrat qualifié de bail en l’état futur d’achèvement (BEFA), qui prévoyait la location de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux, ainsi que d’un nouveau bâtiment à construire, était en réalité un marché de travaux, dès lors que le pouvoir adjudicateur « avait exercé une influence déterminante sur la conception de cet ouvrage ».

Compte tenu de cette requalification et constatant la présence d’une clause de paiement différé indivisible du reste du contrat (versement de loyers et de « surloyers » en contrepartie des travaux réalisés) interdite dans les marchés passés par les personnes publiques (Art. L.2191-5 du Code de la commande publique), le Conseil d’État confirme l’annulation du marché.

CE, 3 avril 2024, n°472476

Précisions sur le contrôle susceptible de conférer la qualité de pouvoir adjudicateur à certaines personnes morales de droit privé

Par un avis du 11 avril 2024, le Conseil d’État est venu préciser l’intensité du contrôle devant être exercé par un pouvoir adjudicateur sur la gestion d’une personne morale de droit privé, pour conférer à cette dernière la qualité de pouvoir adjudicateur.

Pour mémoire, l’article L.1211-1 du Code de la commande publique précise que sont des pouvoirs adjudicateurs, les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont :

a) soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ;

b) soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ;

c) soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.

Au cas présent, le Conseil d’État relève que les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux énumérés à l’article L.312-1 du Code de l’action sociale et des familles, y compris les organismes à but lucratif, ne sont soumises qu’à un contrôle de régularité, a posteriori.

Un tel contrôle n’est pas de nature à créer une situation de dépendance à l’égard de l’autorité publique, équivalente à celle qui existe notamment lorsque l’organe de direction de la personne morale de droit privé est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.

Par conséquent, les gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs au sens du b) du 2° de l’article L.1211-1 précité.

Avis contentieux du Conseil d’Etat n°489440 du 11 avril 2024

Possibilité de détecter une offre anormalement basse à l’aide d’un critère mathématique

Le Tribunal de l’Union européenne admet l’utilisation d’un critère mathématique afin d’identifier des offres qui seraient susceptibles être anormalement basse (OAB), dès lors que des justifications sont ensuite demandées au candidat concerné, dans le cadre d’une vérification contradictoire.

Ainsi, le TUE rappelle que : « le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un critère mathématique soit utilisé aux fins de déterminer quelles offres apparaissent anormalement basses, ce n’est toutefois que pour autant que le résultat auquel aboutit l’application de ce critère ne soit pas intangible et que l’exigence d’une vérification contradictoire de ces offres soit respectée ».

Au cas présent, le règlement de consultation litigieux prévoyait que : « afin d’éviter les offres présentant des prix anormalement bas pouvant compromettre la bonne réalisation des prestations, pour toute offre dont le prix global (offre financière) est inférieur à 50% de la moyenne des prix globaux (offres financières) de toutes les autres offres ou pour toute offre dont le prix horaire donné est inférieur à 50% de la moyenne des (mêmes) prix horaires de toutes les autres offres, le Parlement demande par écrit des précisions sur les éléments constitutifs de l’offre jugés pertinents et vérifie ces éléments constitutifs ».

Alors que l’offre de l’attributaire et celle de la société requérante présentaient des tarifs horaires inférieurs de 50% à la moyenne des prix horaires de toutes les autres offres, le TUE considère que l’acheteur public a demandé et obtenu des candidats les justifications permettant de démontrer l’absence d’une OAB, de sorte que les règles ont été respectées, malgré l’application d’un critère arithmétique pour la première phase d’identification de l’OAB.

TUE, 20 mars 2024, Westpole Belgium, T 640/22

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