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Par une décision très attendue, le Conseil d’État est venu préciser les modalités selon lesquelles les personnes publiques peuvent conclure des contrats d’occupation sur leur domaine privé (CE, 2 décembre 2022, n° 460100).  

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat était interrogé sur la validité d’un bail emphytéotique d’une durée de 75 ans portant sur les murs et dépendances de l’hôtel du Palais conclu, sans mise en concurrence, entre la commune de Biarritz et la société Socomix, étant noté que la commune possédait 68% des actions de la Socomix.

Le juge considère que « Si les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques cité ci-dessus, impliquent des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C- 67/15), il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive. Il suit de là qu’en n’imposant pas d’obligations de publicité et mise en concurrence à cette catégorie d’actes, l’Etat ne saurait être regardé comme n’ayant pas pris les mesures de transposition nécessaires de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006. »

L’obligation de mise en concurrence est donc notamment liée à l’existence d’un régime d’autorisation défini comme « toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice » (article 4.6 de la Directive Services).

Autrement dit, lorsque l’autorité publique en cause agit en tant qu’administration réglementant une activité au titre de ses prérogatives de puissance publique, les contrats d’occupation de son domaine privé devront faire l’objet d’une mise en concurrence. À l’inverse, lorsqu’elle se comporte comme un opérateur ou bailleur privé, gérant son domaine privé sans prérogative particulière, elle pourra octroyer sans formalité particulière les titres d’occupation sur son domaine privé.

Une telle grille de lecture n’apparait pas aisée à manier en pratique, de sorte que l’on peut s’interroger sur l’intérêt de la clarification ainsi apportée.

En effet, selon les conclusions du rapporteur public dans cette affaire « dès lors qu’un titre est toujours nécessaire pour occuper ou utiliser le domaine public, ce premier critère tirée de la nécessité d’une autorisation sera systématiquement rempli et l’analyse doit donc porter sur la nature de l’activité – économique ou pas – et non sur l’objet ni sur l’effet de l’autorisation conférée (…).  Par définition, le critère de la nature économique de l’activité sera toujours rempli en présence d’un bail commercial ; il le sera fréquemment en présence d’un bail emphytéotique permettant la conduite d’un projet économique, comme c’est le cas en espèce, même si dans ce dernier cas, il sera possible de distinguer des opérations purement patrimoniales de la personne publique, d’opérations visant une rentabilité économique au profit de la personne privée. Mais le critère déterminant sera celui de l’administration agissant en tant que telle. Il s’agira donc de rechercher si, en donnant à bail un immeuble du domaine privé à une entreprise privée ou à un commerçant, une personne publique délivre, ce faisant, une autorisation d’exercice de l’activité en cause ou si elle agit comme le ferait n’importe quel propriétaire privéEn pratique, ce critère recoupera très largement la distinction entre domaine public et domaine privé, mais il pourra exister des hypothèses où, même sur ce dernier, la personne publique fera usage de prérogatives de puissance publique dans l’octroi d’un bail ou d’une autorisation, qui pourra faire entrer ceux-ci dans le champ de l’article 12 [de la Directive Services]».

L’exercice de clarification ne semble pas pleinement satisfait dès lors qu’il conviendra de vérifier, au cas par cas, si la personne publique agit comme tout propriétaire pour gérer son domaine privé ou si elle intervient pour réglementer une activité sur son domaine.

En tout état de cause, cette décision rend caduques les deux réponses ministérielles de 2019 et 2020 qui préconisaient aux autorités gestionnaires du domaine privé de mettre en œuvre des procédures de mise en concurrence similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques (Réponses ministérielles n° 12868 et 13180, publiées au JOAN 29 janvier 2019, p. 861 et au JO Sénat du 30 janvier 2020, p. 537).

La mise en œuvre de cette grille de lecture devra être finement suivie étant noté qu’elle s’applique à toutes les autorisations, qu’elles soient délivrées avant ou après le 1er juillet 2017, date d’entrée en vigueur, en droit national, des obligations de mise en concurrence au titre du Code général de la propriété des personnes publiques. 

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