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Afin de renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (« LC-BFT »), la directive n°2015/849 du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (dite « 4ème Directive ») a imposé à chaque Etat membre de mettre en œuvre un fichier central destiné à conserver les informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Ce fichier devait être accessible aux cellules de renseignement financier, aux entités assujetties aux obligations LCB-FT ainsi qu’à toute personne ou organisation capable de démontrer un « intérêt légitime »[1].

Cependant la directive n°2018/843 du 30 mai 2018 (dite « 5ème Directive ») a étendu l’accès aux bénéficiaires effectifs à « tout membre du grand public ».

Pour rappel, les « bénéficiaires effectifs » d’une société sont, au sens de l’article L. 561-2-2 du Code Monétaire et financier, les personnes physiques « 1° soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; 2° soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée » de sorte que permettre l’accès aux bénéficiaires effectifs d’une société revient en réalité à autoriser la levée de l’anonymat des ultimes actionnaires d’une société.

Cet accès aux registres des bénéficiaires effectifs par le grand public est remis en cause par la Cour de Justice de l’Union européenne laquelle a été saisie par les juridictions luxembourgeoises s’agissant du registre des bénéficiaires effectifs luxembourgeois.

Par décision du 22 novembre 2022[2], la Cour a jugé que l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs était contraire aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – à savoir le droit au respect de sa vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel[3]. La Cour a en effet considéré que l’atteinte aux droits fondamentaux était disproportionnée par rapport à l’objectif d’intérêt général de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

En statuant ainsi alors que les institutions européennes négocient actuellement la 6ème directive relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la Cour de Justice de l’Union européenne les invite à trouver un meilleur équilibre et à se recentrer autour de la notion d’« intérêt légitime » imposé initialement par la 4ème Directive.

Cette décision a eu pour corolaire la suspension de l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs dans certains Etats membres (tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas). Pour autant la majorité des autres Etats membres ont pris la décision politique de maintenir l’accès du tout public.

C’est le cas de la France où, depuis l’ordonnance 2020-115 du 12 février 2020 transposant la 5ème Directive et son décret d’application n°2020-118, l’accès au registre des bénéficiaires effectifs a été ouvert au grand public et est consultable depuis le site de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

Ainsi et malgré une brève suspension de l’accès au registre des bénéficiaires effectifs au début du mois de janvier 2023 pour des raisons techniques, Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a confirmé, par communiqué de presse du 19 janvier dernier[4], « le maintien de l’accès du grand public aux données du registre des bénéficiaires effectifs dans l’attente de tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ».   

Il n’en demeure pas moins que l’accès au registre des bénéficiaires effectifs est à ce jour en sursis jusqu’à la nouvelle directive qui devra s’attacher à légiférer sur ce point.


[1] Dir. (UE) 2018/843 modifiant la dir. (UE) 2015/849

[2] CJUE, gde ch., 22 novembre 2022, WM & Sovim SA c/ Luxembourg Business Registers, aff. n° C-37/20 et C-601/20

[3] Art. 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

[4] Minefisin, communiqué n° 520, 19 janv. 2023

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