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La loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit européen (dite loi DDADUE) et son décret d’application n°2023-657 du 25 juillet 2023 assouplissent considérablement le régime dit des « pertes excessives ». Une évolution attendue et qui règle certaines problématiques des sociétés dédiées porteuses de projets industriels, notamment de production d’énergie renouvelable.

Rappel : usuellement, les groupes actifs dans le domaine des EnR développent et exploitent leurs projets au travers d’entités qu’ils constituent spécifiquement pour chaque projet, appelées « sociétés de projet », qui ont vocation à détenir l’ensemble des actifs du projet (foncier, équipements, contrats de vente d’électricité et de maintenance, assurances, financements etc.).

Jusqu’à la mise en service du projet, c’est-à-dire la production et la vente d’électricité sur le marché, la société de projet ne génère aucun revenu propre et est financée le plus souvent et schématiquement, d’abord par des prêts d’actionnaires pendant la phase d’étude et de développement, puis par un emprunt bancaire pendant la phase de construction. Ces sociétés, généralement constituées avec un montant très faible de capital, accumulent alors des dettes, en particulier vis-à-vis de leur actionnaire, ce qui les amène à devoir constater des pertes le temps, potentiellement long, du développement.

Ce modèle économique qui n’est d’ailleurs pas spécifique au secteur des EnR et se retrouve dans de nombreux domaines, notamment industriel, impliquant un temps de développement et une phase d’investissement longs, pouvait conduire des sociétés de projet à se trouver en contrariété avec les articles L.223-42 et L.225-248 du code de commerce.


Ces articles prévoient en effet qu’en cas de constatation de pertes rendant les capitaux propres de la société inférieurs à la moitié de son capital social, les associés doivent se réunir dans les quatre mois suivant l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte afin de décider de la dissolution anticipée ou non de la société.


Selon le dispositif ancien, dans le cas où la poursuite de l’activité avait été votée mais que les capitaux propres n’avaient finalement pas été reconstitués au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes était intervenue, tout intéressé pouvait demander en justice la dissolution de la société.

Le risque était surtout théorique puisque le juge avait toujours la possibilité d’accorder un délai pour régulariser la situation et qu’il ne pouvait prononcer la dissolution si la régularisation avait eu lieu au jour où il statuait. Et effectivement aucune décision n’est venue prononcer la dissolution d’une société de projet pour insuffisance de capitaux propres.

Toujours est-il que le législateur, visiblement conscient de ce que le régime des pertes exercices dans sa précédente version était inadapté pour des sociétés viables à terme, mais dont le modèle économique implique des déficits temporaires et parfois prolongés, a désormais prévu un dispositif dont « l’objectif est de permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l’idée d’une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité » (exposé des motifs accompagnant le dépôt de texte).

Ainsi désormais, le délai de régularisation pour reconstituer les capitaux propres de la société à hauteur de la moitié du capital social est porté de deux à quatre exercices comptables suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue.

Surtout, et c’est la plus grande nouveauté, à défaut de régularisation dans le délai ci-dessus, la société défaillante peut encore échapper à la dissolution en réduisant son capital social à la valeur la plus élevée entre 1 % du total de son bilan constaté lors de la dernière clôture d’exercice et le montant de capital social minimal associé à sa forme sociale (art. R226-166-1, a nouv. et R223-37 nouv.).

Etant rappelé qu’il n’existe pas de montant minimal de capital social pour la société par actions simplifiée, forme sociale la plus utilisée en matière de développement de projet.

La société défaillante qui aura réduit son capital social au seuil ci-dessus devra en toute hypothèse, si elle procède par la suite à une augmentation de capital, se remettre en conformité avec le régime des pertes excessives (i.e. reconstituer ses capitaux propres) avant la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel a eu lieu cette augmentation.

En résumé, une société de projet constituée avec un capital social très faible (moins de 1 % du total de bilan projeté) n’induira pas les tiers en erreur sur sa surface financière conformément au souhait du législateur et évitera l’« épée de Damoclès », certes très théorique, de la dissolution.

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